Pierre Bergé, ou l’histoire singulière d’un mécréant

OPINION I Indissociable d’YSL, Bergé avait un tempérament sournois et sombre. Il y a une dizaine de jour, le monde apprenait avec tristesse ou soulagement, c’est selon, que l’homme d’affaire s’était éteint des suites d’une longue et sévère maladie. Sa vie ne manquait pas de charme pour toute une frange de crapules. [Portrait]

Pierre Bergé I STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Pierre Bergé a incarné toute une époque, à lui tout seul. Une époque bel et bien morte, désormais. Que dire de cet homme, si ce n’est qu’il était machiavélique et pervers. S’il se prenait pour un esthète, l’homme avait été taillé pour conduire un quadrille de débauches diverses avec son amant Yves, dont il exploita vicieusement le talent pour faire sa fortune et sa propagande.

Chacun connaît sa carrière… Homme d’affaires autodidacte, prédateur avisé, Bergé a su se bâtir une fortune avec la mode de masse pour élites caviar qu’inventa Sain-Laurent. Bien que n’habitant plus ensemble depuis 1976, il avait contracté avec le couturier un PACS, peu avant sa mort. Il put ainsi hériter de ses biens, notamment des collections qu’il vendit pour €375 millions. Giscardien patenté, puis ami de Jack (Lang) et de Mitterrand, il avait fini par soutenir Chirac en 1995, mais l’opportuniste UMPS se mettait au service de convictions très fermes. C’était d’abord un activiste de la révolution morale. On lui doit d’ailleurs cette expression fâcheusement bourgeoise :

Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? C’est faire le distinguo qui est choquant.

Oui, Pierre Bergé était le reflet d’une certaine moisissure mondiale, converti en action directe. Peu importe la condition du genre humain, les caprices l’emportaient sur la raison.

Né en Charente dans une famille de fonctionnaires protestants, Bergé ne croyait en rien qu’en lui-même. Il haïssait à la fois son pays natal telle que l’histoire l’a fait. Il souhaitait que le découpage du temps change et que les magasins ouvrent le dimanche… Chose faite. Il n’aimait pas non plus les quatorze juillets, ni les onze novembres, tout aussi réactionnaires pour lui, trop militaires, trop français, trop imposant pour lui, sans doute. Homme d’argent et de paillettes (expression née de la collusion Rothschildo-rive gauche, du gros argent libéral et de la communication libertaire), Bergé a puisé son inspiration dans le mépris des classes et des individus. Alors qu’il était interdit d’interdire, qu’une envie d’émancipation pernicieuse envahissait jadis le monde, un ensemble de lois est apparu à peu près au même moment, qui allaient nourrir tout un courant de pensée. Le moment le plus caractéristique de ce process est le début du septennat de Giscard, où paraissent en même temps notamment le divorce par consentement mutuel et la première prolifération du porno en salles. S’astiquer devant la toile devenait une soupape de sécurité mise en place par l’intelligentsia établie. Il fallait bien endormir le peuple à coup de gémissements…

Si Diogène Laërce assurait que d’un défunt l’on ne doit dire que du bien, ou bien rien, transgressons la règle. La justesse et la sincérité ne souffrent d’aucun silence. Sinon, taisons à jamais le nom d’un homme, qui ne mérite que l’indifférence…