Le parti d’extrême droite dirigé par Santiago Abascal surfe sur sa percée électorale en Andalousie et entend peser lors des échéances européennes et locales de mai.

Santiago Abascal pendant un discours à Grenade, au cours de la campagne des régionales en Andalousie, en novembre 2018 I CRISTINA QUICLER/AFP
En Espagne, il flotte dans l’air une sourde exaltation conquérante. La formation de droite radicale Vox, mouvement politique qui accapare l’attention médiatique ces dernières semaines dans tout le pays, débarque comme un cheval de bataille. Juan Carlos Prieto, un des organisateurs, explique avec fierté:
Notre progression est rapide. Personne ne nous arrêtera.
Autour, trois jeunes militants, qui tiennent un stand décoré de drapeaux nationaux sang et or, et d’étendards verts (la couleur de Vox), acquiescent, les yeux brillants d’optimisme. Parti de l’ultra-droite créé en décembre 2013, Vox émerge donc au grand jour. Jusqu’à récemment, c’était une formation confidentielle, sans aucune représentation parlementaire, méprisée par les médias et l’ensemble du spectre politique. A l’image d’un pays qui, après quarante ans de dictature franquiste, ne veut plus rien savoir des slogans nationaux-catholiques. Mais trois événements ont changé la donne et montré qu’il allait désormais falloir compter avec une nouvelle force politique, destinée à durer et à bouleverser le jeu des alliances: Le référendum d’auto-détermination interdit par Madrid qui s’est tenu en Catalogne le 1er octobre 2017 et qui a renforcé le sentiment patriotique dans le reste de l’Espagne ; le meeting du leader, Santiago Abascal, dans les arènes madrilènes de Vistalegre, en octobre 2018 (avec près de 13 000 personnes survoltées) ; et enfin les élections de décembre où, contre toute attente, Vox a obtenu près de 400 000 voix et douze sièges (10,97 % des suffrages, alors qu’il n’avait récolté que 0,46 % en mars 2015), résultat historique qui a obligé les deux autres formations de droite, Ciudadanos et le Parti populaire, à sceller une alliance afin de prendre le pouvoir régional et d’en finir ainsi avec un quart de siècle de bastion socialiste.
Depuis le surprenant score du parti en Andalousie, dirigeants et commentateurs politiques de tous bords ont une seule question en tête: faut-il craindre l’expansion du phénomène Vox dans le reste du pays ? Sur la base des enquêtes d’opinion, beaucoup pensent que dans des régions clés comme celles de Madrid ou Valence, le parti ultra ferait un score semblable. Chez Vox, on estime que, partout dans le pays, le parti peut faire pencher la balance à droite et détenir la clé de toute alliance au pouvoir. Pour ses dirigeants, le temps presse pour en avoir le cœur net: en mai prochain, ont lieu les décisives élections européennes, régionales et municipales. D’où le fait que Vox, fort de son nouveau pouvoir de nuisance et de son impact médiatique, cherche à s’installer et conquérir les territoires vierges, c’est-à-dire quasiment tout le pays. En Estrémadure, une des régions les plus pauvres, les attentes sont particulièrement élevées car elle serait une sorte de copie de l’Andalousie: une forte immigration, surtout marocaine ; un chômage bien supérieur à la moyenne nationale (21,6 %) ; une population agricole fragile ; et la crainte très répandue que, du fait de la situation en Catalogne et au Pays basque, les fonds de l’Etat en faveur de la région ne diminuent. Plus encore, Alicia Rubio, écrivaine et membre du comité exécutif de Vox s’est imposée comme le chantre de la lutte contre les féminazies:
Ces associations féministes, qui reçoivent des aides millionnaires de l’Etat, sont devenues un cancer pour la société. Sous couvert de défendre la femme, elles attaquent l’homme, lui retirent ses droits, et se comportent comme des nazis suprémacistes !
Décomplexée, elle reconnaît vouer une grande estime à Marine Le Pen pour sa capacité à défendre la souveraineté nationale contre l’élite mondialisée et son combat juste contre l’islamisme radical. Outre les diatribes contre les féminazies ou les sécessionnistes catalans qui veulent détruire la grande nation espagnole, le ton reste modéré. Dans les rangs de ces conquérants, on tente de faire bella figura, et d’apparaître comme raisonnable et à l’écoute de tous. Yannis Pérez, né à Aubervilliers d’un père qui avait émigré en France avant de revenir en Espagne à l’âge de 7 ans soigne son propos:
Il faut surtout en finir, comme le dit Alicia Rubio, avec la dictature des féministes. C’est un lobby mafieux. En Andalousie, par exemple, 42 millions d’euros ont été dépensés en pure perte, prétendument pour défendre les femmes. L’autre grand sujet est l’immigration marocaine. A Talayuela, pas loin de là, ils représentent la moitié de la population. Et pendant ce temps, plein de gens sans boulot partent faire les vendanges en France.
L’homme oublie de préciser que beaucoup de ces Marocains se consacrent à la cueillette de l’ail ou du tabac dans des conditions pénibles qu’aucun autochtone n’accepterait. Pour les sympathisants de Vox, qu’importe: le nouveau parti grandit à toute vitesse, et ils lui prêtent un avenir radieux…

































