Emblèmes du patrimoine français et reconnaissables à leur écusson bleu et rouge, ces restaurants, situés en bord de route, tentent aujourd’hui de survivre.
Les phares de rares automobilistes éclairent faiblement la chaussée de la N165 en direction de la commune de Pontchâteau (Loire-Atlantique). Dans la pénombre, les néons d’un hôtel-bar-restaurant – pour l’heure presque vide – affichent le nom d’un « routier ».
Derrière son comptoir, la propriétaire du « routier » depuis douze ans, est occupée à servir les premiers clients. Et en salle, on s’affaire. Des récipients de macédoine, crudités, charcuterie et des parts de pizza garnissent le buffet froid, destiné aux 60 couverts prévus au dîner. « On se retrouve le soir pour se rassasier. Personne n’est seul, on s’assoit à des tables communes, on retrouve d’autres chauffeurs et on discute du métier », raconte Roger, chauffeur routier.
« Avec qui discuteront-ils le soir ? »
Pourtant, les occasions de partager ces « moments de convivialité » tendent à se raréfier. Assis sur les chaises du restaurant, les clients se font de plus en plus rares. « Comme chaque année, on observe un creux au mois de novembre, mais depuis la période covid et les divers confinements, les chauffeurs ont pris de nouvelles habitudes », déplore la gérante du relais, qui travaille dans la restauration depuis 25 ans.
Et pour cause, les restaurants n’ont pas été épargnés par les conséquences du virus. Si ce relais n’a fermé qu’un mois, d’autres « routiers » ont dû stopper leur activité. Alors, les chauffeurs se sont adaptés à la vie en camion. « Ils ont des frigos, des micro-ondes installés dans leur cabine. Ils préparent leur nourriture pour la semaine et parfois, lorsqu’ils s’arrêtent, ne consomment pas et viennent seulement faire leurs besoins », déplore la propriétaire, qui a d’abord dû fermer le dimanche, avant d’étendre la fermeture au week-end tout entier. C’est donnant-donnant. En prenant un simple café, ils alimentent le système. Où s’arrêteront-ils lorsque nous aurons dû fermer ? Avec qui discuteront-ils le soir ? »
Si l’inflation pousse les chauffeurs aux économies, dans les restaurants, d’autres problèmes ont surgi. Au mois d’août 2023, le plus grand restaurant routier de France, situé près de Châteauroux (Indre), a dû fermer ses portes pendant deux semaines. Rebelote au mois de novembre, où le gérant a dû faire une croix, pendant une semaine, sur ses 500 couverts quotidiens. En cause, le manque de personnel.
« Tout le monde ne pourra pas s’en sortir, d’autres restos fermeront »
De quoi faire craindre la disparition des restaurants à l’écusson rouge et bleu ? À l’aube des années 2000, ils étaient 3 500 installés au bord des routes, aujourd’hui, il ne reste plus « que » 1 600 survivants. « Tout le monde ne pourra pas s’en sortir. Des restos ferment et d’autres suivront, s’inquiète la restauratrice, d’autant que les aides allouées aux professionnels lors du covid-19 n’ont pas suffi à tout éponger. On a bénéficié de prêts garantis par l’état, de reports des cotisations, que l’on doit maintenant payer. Mais l’activité peine à revenir et nos charges d’électricité ont augmenté de 20 à 30 %. »
Pour tenter d’endiguer l’épidémie, la fédération Force ouvrière Transports a adressé une lettre, début octobre, au gouvernement, dans laquelle elle l’exhorte à ne « plus laisser les routiers à l’abandon ». Mis en cause, le manque de places de stationnement sur le territoire. « Il y a 180 000 véhicules en circulation, pour seulement 34 000 places de parking, peste Patrice Clos, le secrétaire général de FO Transports. Le gouvernement doit créer des places, ce sont les directives de l’Europe, mais ne fait rien pour le moment. Cela crée des situations dangereuses pour les chauffeurs qui souhaitent se garer. »
« S’adapter, faire évoluer notre offre »
Les endroits pour stationner ne manquent pas sur le parking du relais de Beaulieu. Quelques chauffeurs sont arrêtés, en profitent pour manger « en conséquence », se requinquer, avant de repartir sur les routes. Buffet froid, sandwichs, ou plat-dessert, « désormais, ils choisissent par modules ce qu’ils veulent prendre, sur place ou à emporter ». Pour satisfaire ses clients, Fanny Delattre a dû s’adapter et développer d’autres offres. Exit le très conventionnel entrée-plat-dessert-café, les chauffeurs « s’attellent maintenant à faire des économies », souligne Mickaël.
L’inflation du prix des matières premières – en baisse au mois de novembre mais estimée à 3,4 % sur un an – a d’ailleurs obligé les restaurateurs à augmenter leurs prix, ou baisser leur marge. À Pontchâteau, on fait désormais « preuve de vigilance au niveau des achats », en ne travaillant plus avec certains produits alimentaires, devenus trop coûteux. « Le but, c’est de ne pas impacter directement le consommateur », assure la gérante, qui prévoit tout de même une légère augmentation de ses prix en 2024. Car, si les chauffeurs ont obtenu une nouvelle hausse de 5 % de leurs frais de route à compter du 1er décembre, manger chaque soir au restaurant, « ça a tout de même un coût », estime-t-on, en sortie de table.