Selon une publication du journaliste Seymour Hersh, les Etats-Unis seraient à l’origine du spectaculaire sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 en septembre. La Maison Blanche conteste ces affirmations.

Dans un article publié sur un blog se présentant comme le sien, le journaliste d’investigation américain spécialisé dans les questions de défense, Seymour Hersh déclare que des plongeurs de l’US Navy, aidés par la Norvège, ont posé des explosifs en juin 2022 sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2, ceux reliant la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique. Ces explosifs ont été déclenchés trois mois plus tard (26 septembre) provoquant ainsi les dégâts que nous connaissons aujourd’hui. Le journaliste est à l’origine de nombreuses révélations, comme l’affaire des actes de torture à Abou Ghraib ou encore le massacre de Mỹ Lai au Viêt Nam, révélation pour laquelle il obtient le prix Pulitzer. Son travail sur la Syrie à partir de 2013 est néanmoins controversé.
Dans cette affaire, les pays occidentaux avaient accusé la Russie d’être responsable de ces impressionnantes fuites précédées d’explosions sous-marines. Mais les enquêtes menées par les autorités suédoises, danoises et allemandes n’ont pas encore permis de déterminer le ou les coupables.
Selon le journaliste d’investigation qui s’appuie sur une seule source anonyme – ce qui est un peu mince – le président américain Joe Biden aurait lui-même décidé de faire exploser ces gazoducs afin de priver Moscou des revenus faramineux de ses ventes de gaz à l’Europe. Washington considérait aussi que Nord Stream 1 et 2 donnaient à la Russie un important moyen de pression sur l’Allemagne et les pays d’Europe de l’Ouest. Le journaliste assure que l’idée avait été évoquée en décembre 2021, avant même que le plan ne soit conçu par la CIA.
Les autorités américaines ont de leur côté fermement démenti les affirmations du journaliste. Ces informations sont «totalement fausses» et relèvent de la «pure fiction», a rétorqué Adrienne Watson, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche. Même écho à la CIA, où un porte-parole a assuré que l’article était «absolument faux».
Aucun élément ne permet d’incriminer la Russie
Cela fait maintenant plus de quatre mois que ces gazoducs ont été sabotés. La Norvège a pris des mesures pour sécuriser ses propres installations énergétiques, d’autant que, le robinet russe étant désormais coupé, elle est désormais le principal fournisseur de gaz en Europe. En outre, l’Otan et l’Union européenne ont décidé de renforcer leur coopération afin d’améliorer la protection d’infrastructures critiques.
Au-delà de ces décisions, les investigations sur le sabotage des conduites Nord Stream 1 et 2 peinent à avancer, alors que la « scène du crime » a été passée au crible dès que les conditions l’ont permis. Des échantillons d’eau et de roche au niveau des explosions ont été prélevés, de même que des débris. Pour rappel, les parties endommagées des gazoducs se trouvant dans leurs zones économiques exclusives [ZEE], le Danemark et la Suède ont chacun ouvert une enquête. De même que l’Allemagne, dont l’approvisionnement en gaz naturel reposait presque exclusivement sur Nord Stream 1 et Nord Stream 2.
En novembre 2022, et après que le Service de la sûreté de l’État de la Suède [Säkerhetspolisen, ou SÄPO] avait confirmé le sabotage des deux gazoducs, le procureur chargé de l’enquête préliminaire, Mats Ljungqvist, a fait part de la découverte de « restes d’explosifs sur plusieurs des objets étrangers » récupérés sur les lieux. Et l’on pensait alors que l’analyse de ces résidus allait faire avancer les investigations. Il n’en a rien été… En tout cas, aucun élément ne permet, pour l’heure, d’incriminer ou pas la Russie dans ces sabotages. C’est en effet ce qu’a affirmé Peter Frank, le procureur général chargé de cette affaire en Allemagne, dans les pages du journal Welt am Sonntag.
« Les enquêteurs [allemands] n’ont actuellement aucune preuve que la Russie soit derrière les explosions des gazoducs. Cela ne peut pas être prouvé pour le moment, les enquêtes continuent », a confié le magistrat. Et d’ajouter : « Nous évaluons actuellement tout cela de manière médico-légale. La Suède et le Danemark mènent leurs propres investigations, mais nous sommes en contact ».
Par ailleurs, Peter Frank a également été prudent au sujet d’une autre affaire de sabotage présumé. En effet, début octobre, des câbles servant le trafic ferroviaire à Berlin et en Rhénanie du Nord-Westphalie avaient été endommagés, ce qui fait dire à la Deutsche Bahn qu’il s’agissait d’actes de malveillance. Aussi était-il tentant d’y faire un lien avec l’affaire Nord Stream ? Or, pour le magistrat, le « soupçon d’une action étrangère de sabotage n’a pas encore été étayé » à ce jour. En tout cas, la responsabilité de la Russie dans de multiples crimes de guerre commis en Ukraine ne fait aucun doute. Dans l’affaire des gazoducs, la vérité est-elle étouffée ? Qui dit vrai ? La guerre en Ukraine a ses raisons, et ses mystères.