Alors que 19 départements sont actuellement confinés, la situation épidémique ne cesse de se dégrader dans le pays. Attisée par le variant anglais, l’épidémie a progressé quasiment partout en France durant le mois de mars, à tel point que le nombre de malades en réanimation a désormais dépassé le pic de la deuxième vague à l’automne.
Lundi dernier, le nombre de malades en réanimation s’élevait à 4.974, contre 4.903 le 16 novembre 2020, et plus de 28.322 patients sont actuellement admis à l’hôpital (+ 6,9% en 7 jours), d’après les données de Covid Tracker. Et le nombre de cas positifs – entre 30.000 à 40.000 chaque jour la semaine dernière – n’augure pas d’une baisse immédiate des entrées. Dans ce contexte, une question se pose : un reconfinement national et dur, à l’image de celui mis en place au printemps dernier, avec fermeture des écoles et des magasins «non-essentiels», s’impose-t-il ? Pour Antoine Flahault, la réponse est oui. Et pour cause, «le point de rupture est bientôt atteint. Toutes les régions ne sont pas au même niveau, mais globalement, on voit une accélération notable de la circulation du virus».
Dans la stratégie française, «le confinement n’a qu’un objectif : protéger le système de santé». Or aujourd’hui, «il y a une saturation des services.» Au 29 mars, 96,5% de lits de réanimation sont occupés, «il reste donc une très petite marge et le problème c’est que ce ne sont pas des critères qui décroissent rapidement. Il y a une forte inertie». Sans compter que «le profil des patients a changé. Ils sont beaucoup plus jeunes et sans comorbidités. Ils vont être sauvés plus fréquemment que les personnes âgées, mais ils vont de fait passer plus de temps en réanimation, à savoir deux, trois semaines, voire plus», précise le spécialiste. «On peut attendre en espérant que la vague va redescendre d’elle-même mais c’est un pari extrêmement dangereux». Un avis que partage le médecin généraliste Jérôme Marty. Selon le président de l’UFML, syndicat indépendant de médecins, on fait face à une nouvelle épidémie, poussée par «un variant 30 à 50% plus contagieux et qui rend les gens plus contaminants plus longtemps». Il est plus que temps d’instaurer un confinement car «la situation est dramatique. Nous sommes face à un échappement, la situation est hors de contrôle, nous sommes dans l’urgence», affirme-t-il. Ainsi, «on ne peut plus se permettre de prendre le pari d’attendre.»
Aujourd’hui, poursuit Antoine Flahault, outre le confinement strict de la population, «il n’y a plus d’autres options possibles» pour juguler l’épidémie. «Sauf en Haute-Corse, tout le territoire métropolitain est dans le rouge», insiste-t-il, rappelant que lors du premier confinement, le taux de reproduction du virus, le nombre moyen de personnes qu’une personne contagieuse peut infecter, «avait baissé de façon plus significative que durant le deuxième confinement». Et ce, car «les écoles avaient été fermées». Pour d’autres épidémiologistes, au contraire, si on peut en effet s’attendre à un éventuel durcissement des mesures à l’issue du conseil de défense qui se tiendra ce mercredi 31 mars, la situation épidémique actuelle, qui est certes préoccupante, ne justifie pas la mise en place d’un reconfinement strict à l’échelle du pays.
« Un reconfinement est hors-sujet »
Une telle hypothèse est même «hors-sujet», pour l’épidémiologiste Martin Blachier. «La dynamique de cette troisième vague n’a aucun rapport avec celle de la première et de la deuxième vague», explique-t-il. Celle que le pays traverse actuellement «n’est pas partout et elle est beaucoup plus lente». Les services de réanimation sont «soumis à un flux continu haut, mais pas à une explosion d’une nombre d’entrées», analyse-t-il. De plus, l’accélération de la campagne de vaccination a permis de réduire significativement le nombre de décès. «Aujourd’hui, il n’y a plus de vagues de décès, et on ne peut pas dire que les chiffres soient vertigineux». Pour rappel, sur une semaine (du 22 au 28 mars), 246 décès quotidiens en moyenne ont été enregistrés, contre plus de 400 en novembre et 500 en avril 2020, lors de la première vague. Avant de parler de reconfinement, ajoute-t-il, «il faut continuer à observer l’impact des mesures fortes qui viennent d’être mises en place», dans les départements particulièrement touchés par l’épidémie.
La situation «est très tendue», mais comparativement à la première vague, note de son côté Robert Sebbag, médecin attaché au service des maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, «la circulation du virus est inégale et l’acceptabilité est moins présente». Donc mettre sous cloche tout le territoire dans ces conditions, n’est peut-être pas la bonne solution. Outre les indicateurs, il faut «prendre en compte l’impact sur la vie économique, sociale, et les troubles induits par le confinement». «Cela va être très difficile, admet-il, mais il faut encore essayer de tenir au moins quinze jours, ou trois semaines, pour attendre les effets de la vaccination, qui va s’accélérer, et je l’espère, porter ses fruits en atténuant la tension dans les hôpitaux.» En Ile-de-France par exemple, ajoute Martin Blachier, «les signaux sont assez positifs». «On a une vraie rupture de tendance depuis [dimanche 28 mars] sur les passages aux urgences. Cela signifie que l’on va dans la bonne direction».
Si ce n’est pas le cas, «que les marqueurs continuent d’être stables mais trop hauts dans les prochains jours, alors à ce moment-là, il faudra prendre des mesures supplémentaires», en rendant notamment «le télétravail strictement obligatoire», ou encore «en testant beaucoup plus massivement les collèges et les lycées», souligne le spécialiste. Même son de cloche chez Judith Mueller, médecin épidémiologiste à l’Institut Pasteur et à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). D’après l’experte, «il y a une augmentation constante, mais sans accélération comme en octobre-novembre. Le pays n’est pas face à un tsunami. Il s’agit d’une vague, mais qui se lève doucement». Pour l’épidémiologiste, le reconfinement pourrait être inéluctable si le pays «faisait face à une grosse pénurie de doses», mais à l’heure actuelle, on n’est pas dans ce cas de figure. Puis avant de parler de ce potentiel scénario, «d’autres pistes peuvent être exploitées» pour réduire le nombre de contaminations et désengorger les hôpitaux.
Un confinement dur au moins régional
Parmi elles, «le renforcement du protocole sanitaire dans les cantines». Que ce soit dans les écoles ou les entreprises, «il faut à tout prix éviter de manger ensemble», martèle-t-elle. Le docteur Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la Fédération des médecins de France, considère lui-aussi que «cela n’a aucun sens de fermer les restaurants et de continuer à manger à la cantine». Robert Sebbag propose quant à lui «d’avancer les vacances scolaires, et d’augmenter les analyses des eaux usées pour mesurer la circulation de l’ARN viral dans des quartiers, puis faire un vrai tracing en testant et en isolant les habitants concernés».
Selon le Dr Hamon, les mesures de restriction prises dans les départements les plus touchés «sont trop limitées. Les habitants continuent d’aller travailler, les enfants de se rendre à l’école, et plusieurs commerces restent ouverts.» Ainsi, il faudrait mettre en place «un confinement strict au moins régional». Si les mesures sont maintenues ainsi, conclut-il, «on va continuer à avoir des dizaines de patients de plus en réanimation chaque jour, et se retrouver rapidement dans la situation que l’on a connue en mars 2020».