C’est l’histoire d’un anonyme, sans visage, et c’est aussi le sujet d’une fascinante exposition-enquête qui se tient actuellement au Mucem à Marseille, où se mêlent la petite et la grande histoire, les «Histoire(s) de René L.».

René L. est né le 16 mai 1920, à Perrégaux (rebaptisée depuis 1962 Mohammadia, située à 80 km d’Oran NdlR). Ses grands-parents avaient quitté leur Alsace natale en 1870, après la défaite face à l’Allemagne, pour s’installer dans l’Oranais. Une petite communauté coloniale où le petit René a passé toute son enfance avant d’être, à 20 ans, hospitalisé pour la première fois. Il le sera de manière quasi ininterrompue dans différents établissements en Algérie.
En 1963, plus d’un an après l’indépendance, alors que l’hôpital de Blida, où il séjourne, est à la dérive, René L. est rapatrié avec plus de cent cinquante autres malades vers l’hôpital psychiatrique de Picauville en Manche.
Des décennies plus tard, dans un vieux bâtiment de l’hôpital voué à la démolition, Philippe Artières, historien, découvre des tas de papiers «à jeter». Le chercheur avait déjà tiré des archives de cette institution une première exposition avec le photographe Mathieu Pernot, présentée à Paris en 2014. A l’origine d’«Histoire(s) de René L.», la découverte d’épais rouleaux, dans une grande pièce. Quarante dessins roulés sur eux-mêmes. Tracées au crayon noir, certaines oeuvres sont coloriées avec soin. Elles représentent des maisons géométriques, un poisson, un voilier… Toutes sont signées du même artiste atteint – selon son certificat d’entrée – de « délire chronique de structure imprécise à thème hypocondriaque »: René L.
Une telle découverte ne pouvait que susciter l’intérêt d’un historien si familier des « écritures ordinaires ». Il se lance alors sur les traces de ce patient dessinateur, au profil singulier et tendre.
Pour comprendre le monde dans lequel René L. évoluait, Philippe Artières et Béatrice Didier, directrice du centre d’art Le Point du Jour, ont recours à ce que Michel Foucault appelait « hétérotopies ». Ces espaces bien réels mais coupés du monde environnant ont des règles bien à eux qui peuvent induire des écarts à la norme: ce sont le monastère, l’internat, la colonie mais aussi le village olympique ou le parc d’attractions, et, bien entendu, l’hôpital psychiatrique.
Cette exposition propose d’associer aux dessins de René L. toutes sortes d’objets qui leur font écho: la sculpture géométrique Modular Cube de Sol LeWitt, des témoignages touchants d’enfants maghrébins réfugiés en France, des plans d’aménagement d’Alger par les Français. Elle fait aussi appel aux expériences et aux créations de Michel Foucault lui-même mais aussi de Frantz Fanon, psychiatre à Joinville-Blida pendant la guerre d’Algérie, de l’architecte Le Corbusier et de l’écrivain Georges Perec. Elles éclairent les oeuvres de René L. Ses propres Histoires.
Exposition «Histoire(s) de René L.» jusqu’au 8 mai 2022. Mucem 1 Esplanade J4, Marseille (IIe). t/ 04 84 35 13 13. Ouvert tous les jours sauf le mardi et le 1er mai de 10h-18h (du 25 février au 8 avril 2022) et de 10h-19h (du 9 avril au 8 mai 2022). Plus de renseignements ici.