Le garde des Sceaux a présenté dernièrement sa réforme de la justice et semble avoir changé son fusil d’épaule. L’ancien avocat propose un projet de loi oscillant entre fausses bonnes idées et laxisme. [Décryptage]
C’est un projet de loi qui entérine le revirement du ministre Dupond-Moretti. Intitulé crânement projet de loi pour la « confiance dans l’institution judiciaire », le texte était présenté mercredi en Conseil des ministres et comme souvent, quand on insiste sur un point en macronie, c’est qu’il pose un problème ou n’existe plus ; en l’occurrence, dans le cas présent, il s’agit de la mauvaise image de la justice auprès des Français. Et pour cause, les sales affaires s’accumulent depuis plusieurs années. On se rappelle notamment le scandale du « mur des cons » dans lequel le Syndicat de la magistrature s’en était pris à des parents de victimes, notamment pour leur foi ; moins grave, mais symptomatique, l’obsession judiciaire contre certaines personnalités politiques de droite à l’instar de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, quand d’autres semblent toujours passer entre les mailles du filet. Le temps de traitement des dossiers a aussi largement participé au désamour des justiciables pour l’institution, tout comme le laxisme de certains juges face à des actes de délinquance toujours plus nombreux.
Au programme de cette mouture, l’article 1 de la loi propose de filmer les audiences. On ne pouvait pas imaginer pire mise en scène de la justice en faisant d’un acte censé être solennel une véritable télé-réalité voyeuriste. Le ministre devrait finir d’achever le peu d’estime que les Français avait encore pour l’appareil judiciaire. Dans ce cadre, Dupont-Moretti devrait se souvenir de sa plaidoirie violente contre les enfants victimes de la Tour du Renard au procès d’Outreau (Saint-Omer). Les caméras lui auraient sans doute moins rendu hommage que certains de ses « copains » journalistes à l’époque.
L’idée de filmer dans les tribunaux n’est toutefois pas nouvelle. Cette pratique est aujourd’hui interdite sauf dans le cas de quelques procès triés sur le volet et qui concernent des personnes dont la culpabilité fait l’objet d’un large consensus dans l’opinion, ce qui est déjà très contestable. Mais en généralisant la pratique, le risque est de faire de ces audiences des spectacles donnant lieu à des torrents de commentaires peu constructifs sur les réseaux sociaux. Difficile de ne pas y voir une nouvelle illustration de l’américanisation de l’appareil judiciaire français. L’encadrement de cette mesure est bancal. La diffusion ne sera possible qu’une fois que la décision définitive sera rendue. A cela s’ajoutera un droit à l’oubli cinq ans après la première diffusion. Avec les outils d’enregistrements contemporains, comprenez qu’il sera foncièrement difficile de se faire oublier.
Pour lutter contre les longueurs que prend l’administration judiciaire à traiter les dossiers, le ministre propose également de limiter la durée de l’enquête préliminaire. Pour aller plus vite, l’administration aurait surtout besoin de moyens financiers et matériels. Il est à craindre, ici, que l’on s’expose à des enquêtes bâclées. Au rang des gadgets en tous genres, le garde des Sceaux suggère aussi d’imposer un code de déontologie pour tous les professionnels du droit, comme si les professions en question ne disposaient pas déjà de serments et autres conseils de l’ordre pour veiller à cela. C’est étonnant de la part d’un ancien avocat de ne pas se souvenir de son propre serment.
Enfin, une autre mesure semble particulièrement dangereuse pour l’édifice judiciaire : la possibilité pour les particuliers de saisir eux-mêmes les instances disciplinaires des professions comme avocat, notaire et greffier ; une mesure qui multipliera les procédures alors même que des recours existent déjà contre les professionnels du droit ayant manqué à leurs obligations. Au rayon des âneries, un élément subsiste. Le ministre entend supprimer les crédits automatiques de réduction de peine des détenus. Une miette de pain pour faire mine de ne pas suivre la voie du laxisme passé de ses prédécesseurs. En revanche, la généralisation des cours criminelles départementales, elle, est bien plus polémique et mènera inévitablement à un laxisme criminel. Ainsi ces cours, déjà expérimentées par le passé, voient au cours des audiences qui s’y déroulent, siéger cinq magistrats professionnels mais pas de jury populaire !? Une mesure qui exfiltre le peuple du tribunal alors qu’on voudrait faire croire « en même temps » aux Français – une fâcheuse habitude en macronie – qu’ils sont impliqués. Si la présence de jury populaire peut-être critiquée et que la préséance des juges professionnels se défend en raison de leur formation, le mérite des citoyens est de sortir du corporatisme des juges et à plus forte raison quand ces juges sont ouvertement d’extrême gauche, comme c’est le cas avec le Syndicat de la magistrature. Concrètement, à la différence de nombreux élèves sortis de l’école nationale de la magistrature, le citoyen lambda se montrera généralement très sévère avec un violeur ou un multirécidiviste. Autrefois, on parlait de bon sens populaire.
La mesure des consultations des jurés populaires est d’autant plus étonnante que le ministre Dupont Moretti lui-même avait attaqué ouvertement son prédécesseur, Nicole Belloubet, sur cette question précise, moins de deux mois avant de prendre sa place au cours d’une passation de pouvoir pleurnicharde. Le 15 mai 2020, le futur ministre déclarait ainsi au micro de Franceinfo, je cite : « L’intervention des citoyens est une bouffée d’oxygène dans le corporatisme des juges, il n’y a rien de plus démocratique que la cour d’assises. Maintenant, exit le peuple ! Ça va se faire dans l’entre soi », fin de citation. L’entre soi semble poser beaucoup moins de problèmes à Éric Dupond-Moretti quand il est au pouvoir. Rien d’étonnant à ce que le pensionnaire du ministère de la Justice ait profité d’une fenêtre médiatique pour plaider la réélection de Macron à la présidentielle de 2022. Gageons qu’ils ne parviendront pas à leurs fins dans ce volet électoral. On ne peut pas faire fi des électeurs…