Dans un rapport publié ce jeudi, l’Anses constate qu’«un prélèvement sur deux» réalisés dans toute la France révèle la présence de résidus issus du chlorothalonil.

L’alerte avait été lancée par la Suisse, où une station de mesure sur trois est concernée. Un rapport de l’Anses publié ce jeudi le montre : en France aussi, l’eau potable est largement contaminée par des résidus de chlorothalonil, un fongicide commercialisé par le géant de l’agrochimie Syngenta et interdit en France depuis 2020.
Tous les trois ans, le laboratoire d’hydrologie de l’agence nationale de sécurité sanitaire mène des campagnes pour mesurer la présence dans l’eau potable de composés chimiques qui ne sont pas ou peu recherchés lors des contrôles réguliers. Ce dernier rapport analyse ainsi la présence de plus de 157 pesticides et métabolites de pesticides (autrement dit des composants issus de la dégradation des produits phytopharmaceutiques), de 54 résidus d’explosifs (principalement issus de sites d’armement datant de la première guerre mondiale) et d’un solvant (le 1,4-dioxane). Une campagne menée sur tout le territoire français – y compris l’outre-mer – qui a permis de collecter plus de 136.000 résultats via des prélèvements d’eaux brutes ou traitées.
Sur les 157 pesticides recherchés, 89 ont été détectés au moins une fois dans les eaux brutes et 77 fois dans les eaux traitées. Mais deux composés ont été quantifiés dans plus de 50% des échantillons, et «un cas en particulier se dégage», indique l’Anses: celui du métabolite du chlorothalonil R471811.
D’une part, «c’est le métabolite de pesticide le plus fréquemment retrouvé, dans plus d’un prélèvement sur deux»; d’autre part, «il conduit à des dépassements de la limite de qualité (0,1 µg/litre) dans plus d’un prélèvement sur trois». L’agence note toutefois qu’aucun dépassement de «Valeurs sanitaires maximales» (Vmax, la limite de sécurité sanitaire spécifique à la substance) n’a été observé.
En interdisant le chlorothalonil en 2019, l’Union européenne le classait cancérogène de catégorie 1B ( avec un potentiel cancérogène pour l’être humain «supposé»). «Il est impossible à ce jour d’établir que la présence de métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines n’aura pas d’effets nocifs sur la santé humaine ni d’effets inacceptables sur lesdites eaux, peut-on ainsi lire dans le document d’interdiction du fongicide. (…) En outre, l’Autorité n’a pas pu exclure un problème de génotoxicité concernant les résidus auxquels les consommateurs seront exposés et a mis en évidence l’existence d’un risque élevé pour les amphibiens et les poissons pour toutes les utilisations évaluées.»
Dans un avis diffusé l’an dernier, l’Anses s’alignait sur celui de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), «étant donné le manque de données pour prouver que le métabolite chlorothalonil R471811 ne partage pas le mode d’action de la substance active parente aboutissant à des tumeurs rénales» chez le rat ou la souris. L’agence française estimait que ce métabolite devait être considéré comme pertinent et donc faire l’objet de la même vigilance et des mêmes mesures réglementaires qu’une substance active retrouvée dans l’eau du robinet.
Elle conclut dans son rapport que «certains métabolites de pesticides peuvent rester présents dans l’environnement plusieurs années après l’interdiction de la substance active dont ils sont issus».
Le métachlore ESA dans le viseur
Au cours de ces prélèvements, un autre métabolite de pesticide a attiré l’attention de l’Anses : le métolachlore ESA, également repéré dans plus de la moitié des échantillons, même si moins de 2% d’entre eux dépassent la valeur de gestion de 0,9 µg/litre définie pour les métabolites dits «non pertinents» (qui ne nécessitent à ce stade pas la même vigilance qu’une substance active). Cette valeur «vise à ce qu’une exposition à ces substances tout au long de la vie ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs», rappelle l’agence.
Ce résultat est toutefois loin d’être anodin: en février dernier, l’Anses a annoncé vouloir interdire les principaux usages du S-métolachlore, «l’une des substances actives herbicides les plus utilisées en France», essentiellement dans les cultures du maïs, du tournesol et du soja. Or ces derniers jours, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a demandé à l’Agence de revenir sur cette décision, l’herbicide en question étant encore autorisé au sein l’Union européenne.
Les résultats des travaux de l’Anses peuvent en tout cas «être utiles aux personnes responsables de la production et de la distribution d’eau pour construire leur programme de surveillance de la qualité des eaux et aux Agences régionales de santé, pour compléter leurs programmes de contrôle sanitaire», conclut l’agence dans un communiqué.