Une fable sur la cupidité, une histoire d’amitié, un «coup de feu» gastronomique qui tourne au vinaigre… Que faut-il voir au cinéma cette semaine ? Découvrez notre sélection cinéma.
Nightmare Alley, Drame de Guillermo del Toro (2h31) – Guillermo del Toro, fort de son triomphe avec La Forme de l’eau (Lion d’or à Venise en 2017), réalise un vieux rêve en portant à l’écran l’œuvre de William Lindsay Gresham, écrivain suicidé en 1962 qui aura tout noyé dans l’alcool (marxisme, psychanalyse, Tarot, christianisme, bouddhisme).
Stan Carlisle devient charlatan en travaillant dans une fête foraine dont l’attraction principale est une bête qui décapite les poulets avec les dents.
Guillermo del Toro est comme chez lui parmi ce peuple de marginaux (nain, contorsionniste, femme à barbe et autres freaks) mais ne force pas le trait, préférant un réalisme sombre à la féerie grotesque. Le cinéaste mexicain arpente cette ruelle du cauchemar avec une élégance en trompe-l’œil. Ruelle ou plutôt boucle cruelle qui se referme sur Carlisle, antihéros d’une fable sur la crédulité et la cupidité. La trajectoire de Carlisle est aussi une métaphore du cinéma, art forain à l’origine avant de devenir un divertissement en salle.
L’amour c’est mieux que la vie, Comédie de Claude Lelouch (1h55) – Gérard Darmon n’en a plus pour longtemps. Question de mois. Un ultime tour du monde en première classe, et salut la compagnie. Voilà ce que c’est d’avoir trop fumé. Ses deux amis sont de braves garçons. Ils se sont connus en prison, ont décidé de devenir honnêtes – le moyen le plus simple de s’enrichir – et décident de lui offrir une dernière histoire d’amour. Le temps étant compté, ils font appel à une professionnelle. Surtout, que leur pote ne soit pas au courant.
Banco, dit Sandrine Bonnaire, qu’il est assez réjouissant de découvrir en patronne d’un réseau de call-girls. Les dialogues sonnent juste, comme toujours. Un homme parle à une femme. Elle lui répond. C’est parti. Lelouch a peut-être un défaut: il est lui-même. Cet homme est doué de jeunesse. Il défie l’état civil. Sa façon de tourner donne un certain air à la vie et au cinéma. Il montre des adieux souriants, optimistes, désabusés. Son enthousiasme le pousse à s’emballer pour une chanson pas inoubliable, unique accroc dans cette chronique où l’on collectionne les jukebox, préfère le couscous bien épicé, boit la meilleure bière du monde et joue à qui réussira la plus belle tête d’enterrement.
The Chef, Drame de Philip Barantini (1h34) – Le long-métrage de Philip Barantini, tourné en un seul plan de 1h34, laisse le spectateur à bout de souffle, sonné, K-O. L’action se trame dans un restaurant «bistronomique» à la mode, quelque part à Londres, le vendredi précédant Noël («Magic Friday»). La caméra traque les protagonistes, clients, serveurs ou marmitons, en cuisine, au passe, en salle, jusqu’aux toilettes s’il le faut, comme elle le ferait dans les coursives exiguës d’un sous-marin en perdition. Jamais l’expression «coup de feu» n’a aussi bien porté son nom: on comprend tout de suite que nul ne sortira indemne de ce service.
Est-ce parce que le réalisateur a lui-même été chef de cuisine? En tout cas, le film décrit comme jamais la pression subie par les équipes au moment où il faut envoyer les assiettes en cadence, comme au ball-trap. La nourriture ne joue qu’un rôle accessoire. Porté par une tension dramatique de chaque instant et une interprétation brillantissime, The Chef est bien plus qu’un film sur les petits malheurs d’un restaurant: une réflexion sur un monde qui perd la tête, où l’on ne sait plus se parler et où s’impose la violence du désespoir, jusqu’à l’irrémédiable.