Alors que de nombreux Français ont les yeux rivés sur la prochaine Une du magazine « Playboy », « Marianne » et « L’Œil du 20 heures » de France 2 ont enquêté de leur côté sur l’utilisation de l’argent du fonds Marianne, créé en 2021 par la secrétaire d’État Marlène Schiappa pour promouvoir les valeurs républicaines après l’assassinat de Samuel Paty. Plusieurs éléments font planer le doute sur un possible détournement d’argent public.

Le fonds de lutte contre le séparatisme lancé par la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire et de la Vie associative Marlène Schiappa, en réaction à l’assassinat de Samuel Paty en 2020, a-t-il permis à des personnes de s’enrichir indûment ? C’est la question soulevée par les révélations de nos confrères du journal Marianne et de L’Œil du 20 heures de France 2 portant sur le fonds Marianne, lancé par Marlène Schiappa en 2021, alors ministre déléguée chargée de la Citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur, après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie par un terroriste islamiste, dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Doté de plus de 2,5 millions d’euros, il avait pour but de défendre les valeurs républicaines sur Internet face à la radicalisation en ligne ou cyber jihadisme. Mais l’activité d’une des associations subventionnées laissent planer des zones sombres quant à l’utilisation du denier public.
En 2021, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), dirigé par le préfet Christian Gravel, lance un appel à projets pour répartir l’argent public. Résultat ? 17 dossiers sont sélectionnés. Le 30 juin 2022, le journal Marianne demande au ministère de l’Intérieur la communication de ces informations. Fin de non-recevoir de la part de Christian Gravel. Ce dernier expliquant ne pas vouloir « porter atteinte à la sécurité de ces porteurs de projets ». Dans le même temps, l’hebdomadaire est alerté par d’autres présidents d’associations.
Marianne et France 2 dressent donc par eux-mêmes la liste des structures dotées. Première surprise : apparaissent une association sportive, une société de production audiovisuelle, mais aussi un éditeur de bandes dessinées.
355 000 € de subventions pour une activité floue
Une association en particulier a attiré l’attention. L’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM) s’est distinguée par le montant qu’elle a obtenu : 335 000 €, soit 15 % des fonds alloués à l’initiative. Surtout, les deux médias ont jugé sévèrement le travail réalisé. Seules 13 vidéos ont été produites dont la majorité n’atteint pas les 100 vues sur YouTube, un site internet au contenu rédactionnel succinct et un compte Facebook comptant cinq amis ont été recensés.
Il est également reproché aux deux dirigeants, Mohamed Sifaoui, expert reconnu des questions de radicalisation, et Cyril Karunagaran, président de l’USEPPM et entrepreneur, d’avoir empoché à eux deux 120 000 € de salaires alors que les statuts de l’association interdisaient aux administrateurs de toucher une quelconque rémunération. Tous deux, certains mois, étaient rémunérés à deux ou trois reprises.
Selon Mohamed Sifaoui, l’association aurait embauché une dizaine de salariés en CDD et en piges. Mais l’Œil du 20 heures n’en a relevé que deux en consultant les relevés bancaires de l’association. À la suite de ces révélations, le secrétariat d’État à la citoyenneté, dirigé par Sonia Backès et rattaché au ministère de l’Intérieur, a annoncé saisir l’Inspection générale de l’administration. Dans le même temps, le ministère de l’Intérieur pourrait effectuer un signalement au procureur de la République. De son côté, le CIPDR a annoncé avoir engagé une procédure de vérification des comptes de l’association.
Mohamed Sifaoui conteste l’enquête
Face à ces soupçons de détournement d’argent public, Mohamed Sifaoui a répondu de manière énergique au Courrier de l’Ouest . « Il n’y a absolument rien du tout, ce sont des éléments orientés pour jeter le trouble et la suspicion », attaque celui qui est devenu en octobre 2022 le directeur de la communication d’Angers SCO, club de foot évoluant en Ligue 1. L’ancien journaliste assure avoir été rémunéré en qualité de chef de projet et non en tant qu’administrateur. Il a expliqué avoir perçu « de juin 2021 à décembre 2022 51 381,05 € net, et 1 931 € pour solde de tout compte », précisant même que les trois derniers mois ont été réalisés « sans solde » puisqu’il effectuait à l’époque sa période d’essai à Angers SCO.
« Et puis l’association est reconnue d’utilité publique, ses comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes. Ceux qui m’attaquent n’ont volontairement pas attendu ses conclusions », a souligné celui qui vit sous protection policière depuis une vingtaine d’années pour ses prises de position à l’encontre de l’islam radical.
Sur le faible engagement de la campagne numérique généré sur les réseaux sociaux, il avance son explication : « On ne conteste pas un microcosme évoluant depuis des années en montant une équipe en moins de six mois. J’avais proposé un plan sur cinq ans avec une action incarnée pour qu’elle soit virale. Mais l’État n’en voulait pas. »
La Une de « Playboy » détourne-t-elle l’attention des Français ?
Marlène Schiappa, de son côté, n’a toujours pas réagi. Le cabinet de la secrétaire d’État a argué que le fonds Marianne ne relève plus de son domaine de compétence, alors qu’elle est désormais chargée de l’Économie sociale et solidaire, mais aussi de la Vie associative.
L’opposition ne s’est en revanche pas fait prier pour pointer un vrai scandale :
Lever 2 millions contre le cyber-jihadisme après l’assassinat de Samuel Paty. Attribuer la plus grosse part du gâteau à ses amis. Qui se verseront plus de 200 000 € de salaire, en infraction avec les statuts de leur asso. Pour des vidéos à 50 vues
a raillé sur Twitter le député La France insoumise du Nord, François Ruffin.
Lever 2 millions contre le cyber-djihadisme après l'assassinat de Samuel Paty. Attribuer la plus grosse part du gâteau à ses amis. Qui se verseront plus de 200000€ de salaire, en infraction avec les statuts de leur asso. Pour des vidéos à 50 vues.
— François Ruffin (@Francois_Ruffin) April 1, 2023
La République Marlène Schiappa https://t.co/tlM6QM5zwg
L’ancien député macroniste Aurélien Taché, qui a eu maille à partir à plusieurs reprises avec la secrétaire d’État, a également pris la parole sur cette affaire.
Ce n’est pas que Marlène Schiappa aille poser dans Playboy qui me gêne. C’est qu’elle s’y exprime en tant que ministre quand des journalistes enquêtent pour savoir ce qu’est devenu l’argent du fonds Marianne qu’elle a créé
a-t-il écrit sur Twitter, en référence au choix de l’ancienne ministre d’apparaître à la Une du magazine érotique le jeudi 6 avril.