Lors de la conférence de presse, Vladimir Poutine a réitéré ses critiques contre l’OTAN, qu’il accuse de s’être élargie ces trente dernières années jusqu’à menacer la Russie. Il demande la fin de la politique d’élargissement de l’Alliance atlantique, et l’engagement de ne pas déployer d’armes offensives à proximité des frontières russes notamment.
Voilà des mois que tout ce que l’Occident compte de porte-parole martèle d’une seule voix que la Russie va envahir l’Ukraine, que la guerre est imminente et qu’il faut se préparer à l’affronter. Un vieux refrain presque ringard. Au temps de l’affrontement Est-Ouest, on prétendait en Occident que la menace soviétique était suspendue comme l’épée de Damoclès au-dessus des démocraties. On affirmait même que l’arsenal militaire de l’URSS était nettement supérieur à celui des États-Unis, et qu’elle risquait d’exploiter cette supériorité pour envahir et soumettre l’Europe.
Or tout est faux, il faut le souligner. Cette menace systémique est une fiction. L’arsenal soviétique fut toujours inférieur à celui de ses adversaires, et les dirigeants de l’URSS jadis n’ont jamais envisagé d’envahir l’Europe occidentale. En fait, la course aux armements fut sciemment entretenue par Washington dès le lendemain de la victoire alliée sur l’Allemagne et le Japon. Cyniquement, le camp occidental avait deux bonnes raisons de provoquer cette compétition: la guerre avait exténué l’URSS, causant 27 millions de morts et détruisant 30% de son potentiel économique, et elle avait fantastiquement enrichi les Etats-Unis, qui assuraient 50% de la production industrielle mondiale en 1945.
Forgée par la guerre, cette suprématie économique sans précédent favorisait une politique étrangère agressive, hypocritement revêtue des oripeaux idéologiques de la défense du «monde libre» contre le «totalitarisme soviétique». Cette politique impérialiste, conformément à la doctrine forgée par George Kennan en 1947, avait un objectif clair: l’épuisement progressif de l’URSS – rudement éprouvée par l’invasion hitlérienne – dans une compétition militaire où le système soviétique allait dilapider les moyens qu’il aurait pu consacrer à son nouveau développement.
Force est de constater que cette politique a porté ses fruits. Surclassée par un capitalisme occidental qui bénéficiait de conditions nettement plus favorables au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique a fini par quitter la scène en 1991 au terme d’une compétition harassante. Pourtant, rien ne semble avoir changé, et la guerre froide continue de plus belle. Trente ans après la disparition de l’URSS, l’hostilité occidentale n’a toujours pas faibli. On continue de prêter à Moscou des intentions belliqueuses, alors même que les démonstrations de force de l’OTAN aux frontières de la Russie illustrent suffisamment la réalité de la menace occidentale.
Quoi de plus malhonnête que cette histoire dans laquelle dégouline la pseudo-bonne conscience occidentale, attribuant toutes les tares à la Russie, incriminant une puissance maléfique dont la résilience ferait peser une menace irrésistible sur le monde prétendument civilisé ? Ce discours lancinant s’obstine à désigner dans la Russie actuelle une sorte d’ennemi, l’empire du mal soviétique ayant été simplement repeint aux couleurs russes pour les besoins de la cause. Aux yeux des élites dirigeantes occidentales, il faut croire que Moscou reste Moscou avec la souveraineté qu’on lui connait, et que la menace venant de l’Est est une donnée permanente de la géopolitique eurasienne.
Pour les obsédés de l’ogre Poutine, la Russie a tous les torts. Elle ne se contente pas de menacer l’Ukraine en massant ses blindés à ses frontières (125 000 soldats), elle veut aussi installer à Kiev un pouvoir prorusse. Singulière inversion accusatoire, qui attribue à Moscou une politique menée elle-même par les Occidentaux dans une Ukraine qu’ils ont asservi à coup de subventions en espérant la transformer en futur joyau de l’OTAN. En y fomentant le coup d’État de février 2014, ils ont tout fait pour détacher l’Ukraine de son voisin afin d’isoler davantage la Russie, dans la foulée de ces «révolutions colorées» qui ont été savamment orchestrées en Europe orientale et dans le Caucase. C’est depuis cette date que l’Ukraine est en proie à une grave crise intérieure, et Moscou n’y est absolument pour rien.
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— President of Russia (@KremlinRussia_E) February 7, 2022
Car le putsch de Maïdan, a porté au pouvoir une frange d’ultra-nationalistes dont la politique a humilié la population russophone des régions orientales. Cette provocation délibérée des autorités usurpatrices de Kiev, soutenues par des groupes néonazis, a poussé les patriotes du Donbass et de Crimée à la résistance et à la sécession. Mais il n’y a jamais eu d’invasion moscovite, jamais. Aucun char russe ne foule le territoire ukrainien, et Moscou a toujours recommandé, pour résoudre la crise interne, une solution négociée de type fédéral ménageant les intérêts des différentes composantes du peuple ukrainien. Il est ahurissant et crapuleux de voir l’OTAN stigmatiser la Russie pour sa politique à l’égard de ce pays, alors que la seule armée qui tue des Ukrainiens est celle de Kiev, la même qui bombarde quotidiennement les populations civiles des républiques sécessionnistes de Donetsk et Lougansk.
C’est l’agressivité irresponsable de cette armée, noyautée par les ultra-nationalistes et portée à bout de bras par les puissances occidentales, qui entretient un climat d’affrontement dans la région. C’est l’hystérie antirusse des puissances occidentales qui jette de l’huile sur le feu, et non cette menace imaginaire contre l’Ukraine que les affabulateurs de la presse « torchon » attribuent à la Russie. Dans la crise actuelle, il est clair que c’est l’Occident qui représente une menace pour la paix en défiant outrageusement la Russie à ses frontières, et non l’inverse. Que l’on sache, Moscou n’organise pas de manœuvres militaires avec le Mexique ou le Canada, et sa flotte de guerre ne croise guère au large de Manhattan.
Washington, en revanche, poursuit l’encerclement de la Russie en étendant systématiquement le périmètre de l’OTAN à ses frontières. Or, cette politique viole l’engagement pris auprès de Mikhaïl Gorbatchev, lequel avait accepté la réunification de l’Allemagne en échange d’une promesse de non-extension de l’OTAN vers l’est européen. Cette offensive géopolitique est d’autant plus menaçante qu’elle s’est accompagnée de l’installation, sur le territoire des nouveaux Etats membres, d’un bouclier antimissile américain. Impensable au temps de l’URSS, ce dispositif fait peser sur Moscou la menace d’une première frappe et rend caduc tout accord de désarmement nucléaire.
Impossible d’oublier, aussi, la toile de fond de cette démonstration de force du camp occidental maquillée en riposte aux ambitions de l’ogre russe: colossal, le budget militaire américain représente près de la moitié des dépenses militaires mondiales, dépassant en 2021 les quelques 740 milliards de dollars. En augmentation constante, il équivaut à neuf fois celui de la Russie, proportion qui s’élève à 16 fois pour l’ensemble des États membres de l’OTAN. Hormis les faux naïfs, qui peut accréditer la fable d’une invasion militaire imminente de l’Ukraine par les forces russes ? Prétendre que Moscou prépare la guerre pour assouvir ses appétits territoriaux aux dépens de ses voisins mériterait un bon coup de blanc au comptoir chez « Gégène », s’il ne s’agissait d’une crise internationale sérieuse au cours de laquelle, une fois de plus, le bellicisme américain tente d’enrayer le déclin irrésistible d’un Occident à la botte d’une puissance mondiale.