par, Annie Ligen
Le vin, ce n’est jamais juste une boisson. C’est une émotion, une poésie capturée dans une bouteille, un frisson dans l’âme. Alors que la monde moderne avance, aseptisant tout sur son passage, la place du vin dans notre société est plus que jamais mise en débat. Pourquoi ? Parce que le vin incarne une subversion, un acte de résistance contre la normalisation du vivant.
Le vrai vin fait d’abord du « bien aux joues » comme le disait l’acteur Jean Carmet. Le vin est la vie. Le vin n’est qu’émotion.
Le vin est un miracle du végétal renouvelé millésime après millésime, malgré le gel, la grêle, la canicule, les modes et l’adversité. Le vin est le fruit de la magie du vivant, de l’infiniment petit à l’infiniment grand.
Le vin est l’œuvre des hommes, depuis l’antiquité. Sans la nature, il n’existerait pas. Sans l’homme, il n’aurait jamais existé et n’existerait plus. Le vin est le produit de la culture. Il est une cathédrale dont les pierres sont la nature.
De la terre à la bouche, le vin est une rencontre avec le monde du « vivant » et source d’émotions innombrables. Il reconnecte les personnes au monde du vivant en passant par les émotions :
- La vigne est porteuse de mythes et d’histoires. Pour les uns, elle serait l’arbre de Vie et pour les autres, l’arbre de la Connaissance du Jardin d’Eden. La vigne relie la terre et le ciel. C’est une liane fougueuse qui, par nature, cherche à s’élever et à coloniser son territoire, pour survivre et se reproduire, dans un cycle éternel de la naissance et de la mort. Ainsi va la vie dans la nature. En ce sens, la vigne n’est qu’émotions. Et il n’est alors nullement question de vin à laquelle la vigne est étrangère sans l’intervention des hommes. C’est leur privilège. Tout le monde taille cette folle liane pour la dompter et la faire fructifier, comme on trait une vache.
- Les femmes et les hommes qui cultivent, qui observent au fil des saisons, qui respectent leur patrimoine, qui élaborent les vins en laissant vibrer leurs émotions à chaque étape. Le vin est une alchimie de culture, d’histoire, de transmission de génération depuis plus de 5 000 ans, qui est un chef d’œuvre accompli à travers les temps par des Hommes dont l’unique quête est le plaisir, la belle ivresse.
Le monde contemporain veut « normaliser » à tout prix. Tout ce qui n’est pas « normal » est « morbide ». Or, le vin est une « anormalité » puisqu’il n’existe pas dans la nature.
De ce point de vue, il est donc voué à être condamné. La mode des « vins nature » fait florès sur ce terreau « progressiste ». Elle trace une frontière entre les « bons » et les « méchants » vins, entre les vins « purs parce que naturels » et les vins « impurs parce que culturels ».
Mais il y a pire. Les clercs de la modernité dépouillent le vin, le mettent à nu pour le dresser sur un bûcher. Le vin ne serait plus qu’alcool et paradis artificiel, un danger pour notre espérance de vie. Ils veulent « nous protéger » de notre « folle insouciance » avec de nouveaux « passeports sanitaires ». C’est le plus dangereux dans leur entreprise. Ils veulent nous interdire les « émotions », nous fermer la porte de la jouissance comme on fermerait les portes des bibliothèques, des musées et des cinéma, en vertu du principe de précaution et de l’injonction à vivre dans un monde « hygiéniquement » correct.
Pour nous soigner de la maladie qui a pour nom « le vivant source de nos émotions » il nous est imposé de plus en plus d’interdits, de règles de bonne conduite. Ce monde binaire « le bien et le mal » ferme la porte à toute pensée intime et donc nous enferme dans un présent collectif qui n’aurait pas de passé et dénué d’émotion présente puisqu’émanant du vécu.
Les émotions peuvent nous aider à identifier nos besoins. En prenant conscience de ces émotions, il est possible de se questionner et de pouvoir faire des choix favorables à nos besoins personnels. Les émotions ne sont pas la cause du mal-être. En coupant le signal qu’est l’émotion, c’est comme si l’on coupait l’alarme incendie et qu’on espérait continuer tranquillement notre vie dans une maison qui brûle. Ce n’est pas parce que l’on coupe l’image que ça ne brûle plus !
La première gorgée de vin ouvre un champ d’émotions insoupçonnées et infinies et non-juste une sensation qui satisfait un trop-plein de vide.
Introduire une nouvelle notion : la biodiversité est naturelle et culturelle. Plus de vin sans biodiversité. La biodiversité est un patrimoine comme la Joconde. Elle est à la source de la diversité des vins et des émotions.
Il faut comprendre qu’en détruisant la nature, on détruit l’être humain et le vin. La vigne est peut-être annonciatrice de ce changement. Elle est issue de l’agriculture, mais elle est l’une des dernières plantes cultivées que l’Homme positionne de telle sorte à revendiquer ouvertement son lien à la terre, et à le manifester à travers ses vins.
La beauté du vin, ne réside-t-elle pas tout simplement dans la magie de l’instant qui convoque la convivialité, la séduction, les jeux d’esprit, les bons mots et le questionnement, l’évanescence des arômes au fil des heures ? Le vin est un lieu de mémoires et un lieu de souvenirs. Il est une capsule de vie dans la trajectoire inéluctable du temps qui passe.
Quatre chiffres inscrits sur une étiquette. Une année. Un millésime et tout à coup, une formidable machine à remonter le temps s’amorce. Les souvenirs. Des conditions climatiques particulières, une année de naissance, un mariage, un dîner mémorable.
Chaque amateur, chaque vigneron garde précieusement à l’esprit ces dates clé qui émaillent leurs souvenirs et leur vie professionnelle. Le millésime confère au vin son ancrage mémoriel. Il porte en lui cette dimension culturelle et sociale, bien au-delà du terroir et du cépage, à l’écho universel. Comme un caillou jeté dans l’eau, ses ondes produisent une mémoire chorale où cohabitent souvenirs de vignerons et de consommateurs. Ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait différents. Intimes et universels.
Si nous interrogeons les amateurs de vins d’où qu’ils viennent, il n’y a plus aucune frontière. L’émotion, la passion, l’histoire personnelle sont sur le devant de la scène.
Plus d’informations ici