L’ambitieux projet vise notamment à pouvoir anticiper des phénomènes tels que la fonte des neiges, une éruption volcanique ou un tremblement de terre.

Prévoir une catastrophe naturelle ou l’émergence d’un virus, des animaux pourraient un jour nous y aider. Comment ? Grâce à l’étude à grande échelle de leur comportement, souvent guidé par un sixième sens étranger aux humains. Pour cela, des chercheurs ont lancé il y a deux ans un projet d’ampleur, ICARUS, visant à doter à terme 100 000 animaux sentinelles de capteurs afin de les suivre depuis l’espace et voir ainsi ce qu’ils ont à nous apprendre. Dans l’édition d’avril de la revue Trends in Ecology and Evolution, les scientifiques détaillent leur concept basé sur l’Internet des objets, et qu’ils ont surnommé opportunément « Internet des animaux » !
Tout a commencé avec un merle, premier animal de l’aventure a avoir été doté, en septembre 2020, d’un capteur qui l’a accompagné du Belarus en Albanie. Jusqu’ici rien d’original puisque, depuis les années 1960, quelque 3,5 millions d’oiseaux sauvages à travers le monde ont été bagués afin d’en savoir plus, notamment, sur leurs déplacements et leurs aires de répartition.
Ce merle peut néanmoins se targuer d’être le premier volatile dont les coordonnées GPS ont été transmises à la Station spatiale internationale (ISS) puis renvoyées sur Terre ! Rien de futile ici : alors que les bagues ne permettaient de relocaliser qu’une infime proportion des oiseaux (moins de 1 % étaient vus plus d’une fois), le vaisseau en orbite à 400 km d’altitude, régulièrement à portée radio des capteurs, permet aujourd’hui d’obtenir une foultitude de données, librement accessibles en ligne sur une plateforme appelée Movebank.
Anticiper la prochaine pandémie ?
A l’automne 2020, environ 5000 transmetteurs ont été ainsi produits pour que soit menée une première recherche sur les migrations des merles et des grives. D’autres expériences ont rapidement suivi, impliquant non seulement des oiseaux mais aussi, par exemple, des reptiles, comme des tortues des Galapagos, connues pour naître, pondre et mourir dans des lieux bien déterminés.
Mais – et c’est la principale innovation de cette technologie – le capteur miniature pesant entre trois et quatre grammes ne communique pas seulement la position de l’animal. Ils peut transmettre des données sur son environnement, comme la température ou l’humidité, ou encore sur sa santé, ce qui est particulièrement instructif concernant des mammifères comme les chauve-souris frugivores, dont des populations sont déjà tracées par ICARUS. Ces mêmes chauve-souris qui ont fait parler d’elles pendant la pandémie…
« Pour les potentiels animaux réservoirs de maladies infectieuses, l’observation de la Terre avec des capteurs animaux peut aider à identifier les points chauds potentiels de transmission de maladies, à cartographier et à surveiller le potentiel de transmissions », explique l’étude, dirigée par le Centre pour la biodiversité de l’Université de Yale, aux Etats-Unis et l’Institut Max Planck du comportement animal, en Allemagne. « Le suivi des individus porteurs d’anticorps offre aux épidémiologistes la possibilité de localiser les véritables hôtes de zoonoses telles qu’Ebola et la maladie à coronavirus 2019. »
Compliqué par la guerre en Ukraine
D’autres applications devraient permettre d’anticiper des événements naturels ou de surveiller des phénomènes provoqués par l’activité humaine. Des oies changent de route ? C’est un possible indicateur de la fonte des neiges. La faune vivant près d’un volcan se comporte étrangement ? Et s’il entrait en éruption ! Des bêtes sauvages quittent brutalement leur habitat ? C’est peut-être l’annonce d’un tremblement de terre. Selon les auteurs de l’étude, l’imagination serait la seule limite.
Actuellement, des capteurs ont été déployés sur 91 sites, tous continents confondus. Et l’objectif de 100 000 animaux ? « Je pense que nous pourrions y arriver en trois à cinq ans », nous affirme Walter Jetz, professeur d’écologie à l’Université de Yale. « Une vaste communauté mondiale de scientifiques et d’amateurs formés tels que les bagueurs d’oiseaux sont prêts à soutenir le déploiement des balises. Avec un coût d’environ 300 dollars par pièce, qui devrait baisser avec le nombre de balises produites, l’investissement initial serait substantiel, mais minuscule par rapport au coût des grandes missions satellites. Le nombre de 100 000 n’est évidemment pas figé, mais c’est un objectif réaliste et qui permettrait de suivre au moins 500 espèces dans le monde avec suffisamment d’échantillons par espèce. »
Un événement a néanmoins semé des cailloux dans les bottes du biologiste et de ses partenaires : la guerre en Ukraine. Car l’antenne qui permettait à l’origine la transmission des données est installée sur le segment russe de l’ISS. Or, le conflit a mis à mal les programmes conjoints de l’agence spatiale russe, Roscosmos, et de ses homologues européennes. Le partage des informations d’ICARUS a été stoppé net. Comme ils l’ont expliqué à la revue Science, les initiateurs du projet ont toutefois arraché à des acteurs du spatial la promesse de faire transiter les données par d’autres satellites d’ici à la fin de l’année. Les décisions humaines, quoi de plus imprévisible.