L’Allemagne maintient le cap de sa sortie du nucléaire malgré la crise énergétique : le pays doit débrancher samedi 15 avril 2023 ses trois derniers réacteurs et fait le pari de réussir sa transition verte sans l’énergie atomique.

Au bord de la rivière Neckar, non loin de Stuttgart (sud), la vapeur blanche qui s’échappe de la centrale nucléaire du Bade-Wurtemberg ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Même chose plus à l’Est pour le complexe bavarois d’Isar 2 et dans celui d’Emsland (nord), à l’autre bout du pays, non loin de la frontière néerlandaise. Alors que de nombreux pays occidentaux dépendent du nucléaire, la première économie européenne tourne la page. Même si le sujet sera resté controversé jusqu’au bout.
L’Allemagne met en œuvre la décision de sortir du nucléaire prise en 2002, et accélérée par Angela Merkel en 2011, après la catastrophe de Fukushima, laquelle a montré, selon l’ex-chancelière, que « même dans un pays de haute technologie comme le Japon, les risques liés à l’énergie nucléaire ne peuvent être maîtrisés à 100% », justifiait l’ex-chancelière à l’époque. L’annonce avait convaincu l’opinion dans un pays où le puissant mouvement anti-nucléaire s’est d’abord nourri des craintes d’un conflit lié à la guerre froide, puis des accidents comme Tchernobyl.
L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, aurait pu tout remettre en question : privée du gaz russe dont Moscou a interrompu l’essentiel des flux, l’Allemagne s’est retrouvée exposée aux scénarios les plus noirs, du risque d’arrêt de ses usines à celui d’être sans chauffage en plein hiver.
Nucléaire en Allemagne : « la roue a tourné », dans le bon sens ?
A quelques mois de la date initialement fixée pour fermer les trois derniers réacteurs, le 31 décembre 2022, le vent de l’opinion a commencé à tourner : « Avec les prix élevés de l’énergie, le sujet brûlant du climat, des voix se sont bien sûr élevées pour prolonger les centrales », témoigne Jochen Winkler, maire de la commune de Neckarwestheim, où la centrale du même nom vit ses dernières heures.
Le gouvernement d’Olaf Scholz, auquel participe le parti des Verts, le plus hostile au nucléaire, a finalement décidé de prolonger l’exploitation des réacteurs pour sécuriser l’approvisionnement. Jusqu’au 15 avril. « Il y aurait peut-être eu une nouvelle discussion si l’hiver avait été plus difficile, s’il y avait eu des coupures de courant et des pénuries de gaz. Mais nous avons passé un hiver sans trop de problèmes », grâce à l’importation massive de gaz naturel liquéfié, note M. Winkler.
Pour le maire de la bourgade de 4.000 habitants, dont plus de 150 travaillent à la centrale, « la roue a déjà tourné » et il n’était plus temps de « revenir en arrière ». Seize réacteurs ont été fermés depuis 2003. Les trois dernières centrales ont fourni 6% de l’énergie produite dans le pays l’an dernier, alors que le nucléaire représentait 30,8% en 1997. Entretemps, la part des renouvelables dans le mix de production a atteint 46% en 2022, contre moins de 25% dix ans plus tôt.
Installer 5 éoliennes par jour pour couvrir les besoins de l’Allemagne ?
Le rythme actuel de progression des renouvelables ne satisfait toutefois ni le gouvernement, ni les défenseurs de l’environnement et l’Allemagne n’atteindra pas ses objectifs climatiques sans un sérieux coup de collier. Ces objectifs « sont déjà ambitieux sans la sortie du nucléaire – or chaque fois qu’on se prive d’une option technologique, on rend les choses plus difficiles », note Georg Zachmann, spécialiste des questions d’énergies pour le cercle de réflexion bruxellois Bruegel.