Un fait divers sur papier glacé, un drame du communisme réfrigérant et les débuts enflammés de NTM… Découvrez notre sélection cinéma.
House of Gucci, un biopic de Ridley Scott (2h37) – Sur des airs d’opéra et des tubes disco, Ridley Scott déroule le roman d’une famille, brosse une fresque luxueuse, observe au microscope les noces du capitalisme et de la beauté. Les affaires ont leurs lois. Cela finit par un assassinat. Le rouge Gucci sera celui du sang. Le réalisateur transforme un fait divers en une sombre tragédie, un ballet de haines et de jalousies. L’oncle (génial Al Pacino, roublard comme ça n’est pas permis) trafique ses déclarations d’impôts. Le cousin (Jared Leto, méconnaissable) se prend pour un artiste, malgré une évidente absence de talent. Il y aura des broutilles, des capitaux étrangers. L’épouse délaissée fricotera avec une voyante. On suit cette saga comme on feuilletterait de vieux numéros de Vogue tâchés d’hémoglobine. La richesse éclate à chaque plan. (…) Lady Gaga joue la demoiselle perdue d’avidité avec une jubilation communicative. Elle a du bagout. Au bout d’un moment, elle horripile l’excellent Adam Driver, en nœud papillon ou col roulé, qui va bientôt voir ailleurs (en l’occurrence, Camille Cottin, en passe de doubler Léa Seydoux et Marion Cotillard à Hollywood). Il trimballe sa longue silhouette dégingandée avec une grâce fitzgéraldienne, monte dans une Lamborghini comme il enfilerait une paire de mocassins griffés. (…) Le film a quelque chose de glacé, de vénéneux. On est entre Les Damnés, Shakespeare et Succession.
Au crépuscule, un drame historique de Sharunas Bartas (2h08) – Au cœur d’une Lituanie occupée par l’Armée rouge au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1948, le général Hiver fait peser de toute sa puissance muette le couvercle de la répression économique, politique et militaire. (…) La dureté du climat n’a d’égal que la beauté des images de Bartas. À quelques kilomètres, dans la plaine, un propriétaire terrien roué et menteur tente de survivre au joug communiste. Patriarche redouté, Jurgis Pliauga (Arvydas Dapsys) soutient mollement les partisans. Celui qui a autrefois adopté le jeune Unte (Marius Povilas, excellent) voit l’étau de son petit royaume se resserrer lorsque l’armée soviétique débarque dans sa bâtisse cossue pour lui demander de céder quelques hectares de ses terres aux autres paysans du village. (…) À peine sorti de l’enfance, Unte découvre les horreurs de la guerre, l’ambiguïté de l’âme humaine et la gangrène des passions secrètes qui assombrissent son pays meurtri. (…) Ce qui force le respect dans le cinéma de Sharunas Bartas, c’est sa manière de filmer sa terre lituanienne. Bartas ne craint pas de prendre son temps. Il impose ses fulgurances poétiques au risque de l’ennui. Par des jeux de lumière, avec des lanternes, des bougies ou des halos de clarté, il signe un film très pictural, au cadre apaisé alors qu’en son cœur y bouillonne une intrigue brûlante.
Suprêmes, un biopic musical d’Audrey Estrougo (1h52) – Suprêmes s’attache à une des plus belles success-stories du genre : celle qui a vu JoeyStarr et Kool Shen partir de Saint-Denis afin de conquérir la France entière au sein de NTM. L’énergie et l’enthousiasme du film sont communicatifs. L’époque est croquée avec gourmandise par la réalisatrice, Audrey Estrougo. Le film s’attache aux premières années de NTM. Une véritable épopée, riche en personnalités hautes en couleur. (…) Loin d’être une stricte recension des événements de l’époque, le film prend des libertés avec la chronologie, saupoudrant des anecdotes essaimées au gré de la carrière du groupe. Les scènes live sont de loin les plus réussies, traduisant à merveille l’électricité de NTM, grand groupe de scène. L’amateurisme des deux leaders est touchant, comme la patience de leur entourage. Les deux comédiens qui incarnent Kool Shen et JoeyStarr sont très convaincants. Si le film ne fait qu’aborder la question des retrouvailles de ce dernier avec sa maman, la personnalité du bonhomme affleure à chaque plan. Une évocation finalement sensible d’une période qui appartient à l’histoire.