TotalEnergies, le groupe pétrolier et gazier français, est accusé par des ONG de « pratiques commerciales trompeuses », et visé par une enquête du pôle économique et financier du parquet de Nanterre après le dépôt d’un plainte au pénal.

TotalEnergies fait l’objet depuis décembre 2021 d’une enquête préliminaire pour « pratiques commerciales trompeuses ». En effet, une information révélée par nos confrères de Médiapart et confirmée par le parquet de Nanterre, révèle une plainte déposée au pénal en octobre 2020. Une enquête a été ouverte suite au dépôt de cette plainte, par un collectif de différentes associations de défense de l’environnement, dont Wild Legal, Sea Shepard France et Darwin Climax Coalitions. Elles accusent de concert TotalEnergies de « dégradation de l’air », a précisé le parquet de Nanterre.
En avril 2022, une nouvelle plainte a été déposée, accusant cette fois TotalEnergies « d’autres pratiques à l’origine d’un écocide » , a indiqué le ministère public. La multinationale, dont le siège est à Paris, a pour objectif la neutralité carbone en 2050, citant des « investissements », des « nouveaux métiers » et une « baisse significative des émissions de gaz à effet de serre, réduites en Europe de 23% entre 2015 et 2021″. Le groupe pétrolier précise également détenir « 17 gigawatts (GW) de capacités renouvelables (éolien, solaire…) installées dans le monde, contre près de 0 GW en 2018 ».
Mais selon Wild Legal, le groupe « dans sa communication affiche son objectif de neutralité carbone alors même que la société poursuit ses investissements dans des énergies fossiles fortement polluantes en France et ailleurs ». Bien que la plainte soit encore étudiée et l’enquête à peine ouverte, la décision finale pourrait ouvrir la voie à des sanctions pour « greenwashing », ce qui constituerait une première en France.
En attendant, TotalEnergies, à l’origine du projet d’un pipeline de 1.443 km chauffé à 50°C baptisé Eacop et de 23 autres « bombes carbones », selon une étude de l’ONG Reclaim France, continue de mettre en avant son énergie « verte » auprès de ses clients. Le groupe promeut ainsi partout son ambition de neutralité carbone et n’hésite pas à clamer qu’il investit dans les énergies renouvelables. C’est cette promotion commerciale qui est précisément visée par le parquet, faute de peu.
Le greenwashing au nom du développement durable est un cynisme durable,
a déclaré William Burdon, avocat des associations écologistes.
L’insécurité des engagements de Total conduira nécessairement à un procès pour pratiques commerciales trompeuses.
Clara Gonzales, la juriste de Greenpeace impliquée dans le recours au civil, a quand elle indiqué : « Quoiqu’il arrive à l’issue de cette enquête préliminaire, cela démontre que les entreprises courent un risque grandissant quand elles ont ce types de pratiques ». « Quand on est pétrolier ou gazier et qu’on communique à tout va sur des engagements climatiques non fondés scientifiquement, la réponse judiciaire est là ».
Et ce n’est pas la première fois que TotalEnergies est dans le viseur de la justice concernant les questions environnementales. Malgré la loi de 2017 imposant aux multinationales un « devoir de vigilance » sur leurs activités mondiales, TotalEnergies fait mine de ne rien voir ou savoir. D’ailleurs, le groupe a indiqué n’avoir « aucune information sur la plainte évoquée. Et ni la Compagnie ni ses dirigeants n’ont reçu de demande d’audition à ce sujet ».
« Eacop » : 379,4 millions de tonnes de CO2 libérés dans l’atmosphère
Si TotalEnergies tente de minimiser les impacts du projet à grand coup de communication, en sous-évaluant sa contribution au changement climatique, Eacop devrait traverser la Tanzanie pour acheminer le pétrole extrait en Ouganda jusqu’au au port de Tanga, avant d’être exporté. Ce méga-projet pétrolier, incompatible avec l’urgence de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, devrait impacter gravement l’environnement selon plusieurs ONG.
Le pipeline traversera de nombreux écosystèmes protégés, des corridors fauniques et le bassin du lac Victoria (dont 40 millions de personnes dépendent). A ce jour, le groupe pétrolier n’a publié aucun plan de gestion des risques de fuites pétrolières. Pire, la côte tanzanienne étant vulnérable aux risques de tsunamis et de cyclones, les infrastructures pétrolières qui y seront construites et les navires pétroliers qui viendront s’y approvisionner en pétrole sont susceptibles de causer des dégâts écologiques de type marées noires en plein cœur de la biodiversité locale. Une bonne moitié du massif corallien tanzanien est abritée dans ce parc marin protégé.
Eacop devrait représenter à lui tout seul 379,4 millions de tonnes de CO2 libérés dans l’atmosphère, jusqu’à 34 millions de tonnes par an, soit plus que les émissions combinées de l’Ouganda et de la Tanzanie. En ne comptabilisant les émissions causées par une partie de la construction de l’oléoduc et par son utilisation (moins de 2% du total des émissions), TotalEnergies ferme sans doute les yeux volontairement sur les quantités phénoménales d’émissions de CO2 liées au transport maritime, au raffinage, mais aussi et surtout, à l’utilisation du pétrole.
Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies avait déclaré dans les colonnes de La Tribune :
C’est l’argent du pétrole qui finance la transition énergétique.
Les communautés locales apprécieront. Le gouvernement français aussi.