En France, alors qu’un restaurant vegan a obtenu sa première « Étoile verte » Michelin, Quotidien Libre s’interroge pour comprendre le futur, les avantages et les dangers potentiels liés à ce mode de vie et de consommation.
D’un pas assuré, le monde vegan gagne du terrain, et la France ne fait pas exception. Signe du développement de cette alimentation parfois controversée, une « Étoile verte » au Guide Michelin a été attribuée au restaurant « ONA » (Origine Non Animale) et à sa cheffe de cuisine Claire Vallée à Arès (Nouvelle-Aquitaine), une première en France :
Le mouvement végan étant un mode de vie global qui dépasse le restaurant et la typicité culinaire, nous remarquons que les restaurants proposent de plus en plus des offres végétariennes et/ou végétaliennes dans leur menu.
En ce sens, certains chefs parlent de « naturalité », avec un respect des saisons et des matières premières de qualité, cultivées et produites de façon naturelle et transparente, dans une dynamique de filières durables,
estime un représentant du Guide Michelin.
Une vision que partage Anissa Putois, chargée de la communication de l’association PETA France; association dédiée à établir et protéger les droits de tous les animaux. En gratifiant d’une étoile la cheffe Claire Vallée, la jeune femme souligne qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé :
Ladurée, qui est aussi une marque assez emblématique, a lancé en 2019 deux macarons végans. Une grande première pour cette enseigne française que l’on connaît pour ses macarons préparés à l’œuf, normalement. Et puis, un menu végan a été présenté. Ils ont vraiment commencé à élargir leurs options,
relate Mme Putois.
Que cherchent les entreprises, les restaurants et les cafés dans le suivi de cette tendance ? La quête de naturalité, estime le Guide Michelin. Il souligne que ce mouvement, que les inspecteurs du Guide observent sur le terrain, relève d’«un engagement des restaurants et de leurs équipes pour une cuisine plus responsable et durable». Pourtant, un autre positionnement existe. Paul Ariès, animateur du réseau pour la défense de l’élevage paysan et des animaux de ferme et auteur de la Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser répond :
Quand nous «mangeons vegan», nous parlons d’une consommation «de fausse-viande, de faux-lait, de faux-fromage, de faux-œufs, de faux-miel, et demain de faux fruits et légumes», ce qui est devenu possible grâce à «la rencontre du veganisme avec les possibilités offertes par les biotechnologies alimentaires». «Les végans parlent de « viande propre », mais cette viande cellulaire est fabriquée industriellement à partir de cellules souches, comme on fabrique de la fausse peau pour les grands brûlés, à grand renfort d’hormones de croissance. Est-ce bien raisonnable ?
« Le danger, c’est d’avancer vers un monde sans animaux ! »
Quand on parle de veganisme, la première chose qui vient à l’esprit de ceux qui ne sont pas encore à l’aise sur le sujet est le refus de la viande. Mais Anissa Putois rappelle que les supermarchés et les commerces alimentaires élargissent leur offre et proposent aujourd’hui nombre d’alternatives. Certaines de ces offres ont eu un grand succès :
Monoprix et Carrefour, pou ne citer qu’eux, ont développé toute une gamme d’alternatives à la viande. Une avancée vegan juste en arpentant les rayons.
De plus, le menu de certains restaurants est riche dans cette offre. Par exemple, Domino’s Pizza en France, propose depuis trois ans des pizzas et des desserts vegan.
Pour Paul Ariès une autre problématique s’impose : «la prétention d’interdire le vegan aux autres et de confondre tous les types d’élevage, industriels et paysans». Il affirme que l’interdiction de la consommation de viande relève «d’une forme de distinction sociale, de mépris de classe», rappelant que «si la consommation globale de viande diminue, elle augmente chez les jeunes de 15 à 25 ans». De ce fait, il tire comme conclusion que «le veganisme concerne d’abord les milieux urbains aisés» et ajoute que les vegans sont souvent confondus avec les écolos et présentés comme des défenseurs des animaux :
On voudrait nous faire croire que le véganisme défendrait les animaux, comme si le choix était de tuer ou de laisser vivre (…). Le plus grand danger, c’est d’avancer vers un monde sans animaux ! La fin de la consommation de produits carnés signifierait la fin de l’élevage, donc des animaux de ferme.
Paul Ariés s’exprime aussi sur le fait qu’aucun élevage ne peut exister sans mort au bout du compte, même si certains agriculteurs tuent des insectes ou des bêtes pour protéger leur récolte. Aujourd’hui nous ne pouvons pas «manger sans tuer, directement ou indirectement, des animaux». «Nous devons devenir des mangeurs consciencieux et refuser à la fois la sale viande industrielle et la fausse-viande super-industrielle, mais aussi refuser l’agriculture végétale productiviste qui tue beaucoup plus d’animaux sentients (souffrants) que l’élevage».
La santé dans tout ça ?
Lors de débats animés entre les partisans et opposants de ce mode de vie, l’argument de la santé est souvent remis en cause. L’alimentation vegan est-elle bénéfique ou non pour la santé ? Les avis sont toujours partagés. D’après M. Ariès, «le plus urgent est de dénoncer le mensonge qui fait croire que les protéines végétales seraient l’équivalant des protéines animales, alors que leur assimilation par l’organisme humain est bien plus faible». En référence, le politologue illustre son propos avec une étude mettant en lumière le travail de chercheurs prouvant que «les végétariens ont le sentiment d’une vie sociale plus réduite», mentionnant ainsi la chercheuse Nathalie Burkert. «Selon une étude de l’université de médecine de Graz, en Autriche, les végétariens sont plus nombreux à se trouver en petite forme. Mais il ne s’agit pas seulement d’une moins bonne santé subjective, car ils souffrent davantage d’allergies (30,6% contre 16,7%), de cancers (4,8% contre 1,2 à 3,3%), de troubles de l’humeur (9,4% contre 4,5 à 5,8%), martèle-t-il. Pour sa part Anissa Putois démontre que les problèmes de santé liés à l’alimentation vegan sont erronés. Elle le certifie à l’aide d’un documentaire, « The Game Changers » (2019), dans lequel des sportifs de haut niveau témoignent de la légitimité de cette alimentation en accord avec leurs activités physiques sportives intenses.
Des perspectives ou une impasse ?
Malgré les obstacles, le manque d’information ou d’études, ainsi que les passes d’armes entre les « pour » et les « contre », ce mode de vie a-t-il un avenir ? En faisant référence à la récompense du Michelin, « l’Étoile verte », créée par le Guide en 2020 en réponse aux tendances contemporaines, son représentant assure que le véganisme a des perspectives futures de développement. «Cette distinction, complémentaire aux distinctions de cuisine du Guide Michelin, se déploie progressivement dans nos différentes sélections internationales, et si lors de son lancement en France, elle récompensait 50 restaurants, en 2021 elle en distingue 82, ce qui montre la volonté de ces professionnels d’embrasser ces sujets». Néanmoins, Paul Ariès mesure son propos et rappelle que la situation n’est pas la même entre les pays riches et les pays pauvres. «Dans les pays riches, nous devons adopter une alimentation moins carnée, mais carnée autrement, grâce à l’élevage paysan, mais dans les pays pauvres, le manque de protéines animales est une cause importante de surmortalité», conclut-il. Un combat qui ne semble pas gagné d’avance.