Les journalistes du média Les Echos dénoncent un interventionnisme de l’actionnaire du quotidien économique, le groupe LVMH dirigé par Bernard Arnault.

Un vent de contestation souffle au sein de la rédaction Les Échos. Après l’annonce en début de semaine du départ du directeur de la rédaction du quotidien économique, Nicolas Barré, les journalistes ont décidé ce jeudi de se mettre en grève de signatures pour 24h afin d’affirmer leur «détermination à faire respecter l’indépendance» de leur journal vis-à-vis de leur actionnaire le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnault.
«Nous ne sommes pas dupes», écrit la Société des journalistes (SDJ) des Échos dans une publication diffusée ce jour. «Le communiqué de presse annonçant le départ de Nicolas Barré de son poste ne peut masquer la réalité qui est celle de son éviction brutale par l’actionnaire en contradiction avec les garanties d’indépendance négociées âprement au moment du rachat des Échos par LVMH en 2007», poursuit-elle.
La veille, le président-directeur général du groupe Les Echos-Le Parisien, Pierre Louette, avait tenté de rassurer les journalistes en évoquant une «décision concertée» et un départ de Nicolas Barré pour des «raisons personnelles». Le communiqué officiel du groupe annonçant son départ précisait qu’il était «appelé à occuper de nouvelles fonctions au sein de la rédaction». «Je suis très heureux que Nicolas Barré ait choisi de poursuivre son parcours au sein du groupe Les Échos avec un nouveau rôle. Je tiens à le remercier pour son parcours de plus de dix ans à la tête de la rédaction où il a fait preuve de ses grandes qualités tant éditoriales que managériales», déclarait même Bernard Arnault dans le communiqué.
La citation de Bernard Arnault est une ingérence de plus dans la vie du journal malgré les engagements pris
estime aujourd’hui la SDJ du journal.
Indicateurs financiers au vert
Les raisons du départ de Nicolas restent floues aux yeux de certains salariés, qui se disent surpris par la nouvelle. Les indicateurs financiers sont, en effet, au beau fixe pour Les Échos. Fin 2021, le titre renouait avec l’équilibre pour la première fois depuis 2008. À cette époque, le chiffre d’affaires du quotidien s’élevait à 90 millions d’euros.
Fin 2022, le groupe Les Echos-Le Parisien dans son ensemble enregistrait un chiffre d’affaires de 430 millions d’euros, dont une centaine de millions pour le quotidien qui compte quelque 200 journalistes. Le journal économique réunissait à lui seul 102 000 abonnés numériques, ce qui représentait les trois quarts de sa diffusion payée France (à 138 421 exemplaires, en hausse de 1,3% sur un an), selon l’ACPM.
Selon les syndicats, plusieurs articles du journal n’auraient pas plu à l’actionnaire : «La couverture de notre journal autour de la réforme des retraites ou la publication d’un article flatteur sur le livre d’Erik Orsenna sur l’«ogre» Vincent Bolloré», glisse un journaliste des Échos. Quand d’autres sources évoquent plutôt des «envies d’ailleurs et de changements» émanant de Nicolas Barré.
La rédaction appelée à voter pour désigner un successeur
Également éditorialiste à Europe 1, Nicolas Barré, âgé de 57 ans, est aux Échos depuis une quinzaine d’années. Diplômé de Sciences Po Paris et du Centre de formation des journalistes, il avait débuté sa carrière en intégrant le service finances et marchés du quotidien et avait notamment travaillé comme correspondant à l’étranger pour le titre (à Tokyo et à New York). Nicolas Barré est aussi passé en 2006 par la rédaction du Figaro, occupant le poste de directeur adjoint de la rédaction. En 2008, il est revenu aux Échos au poste de directeur délégué de la rédaction.
Désormais, François Vidal, proche collaborateur de Nicolas Barré et actuel directeur délégué de la rédaction, est pressenti pour assurer l’intérim, en attendant la désignation d’un successeur. «La succession de Nicolas Barré est bien enclenchée», avait simplement précisé mardi Pierre Louette auprès des journalistes. Selon les statuts du journal économique, la rédaction sera appelée à voter pour approuver ou non la nomination du successeur de Nicolas Barré.
Ce départ intervient quelques semaines seulement après le remplacement d’Henri Gibier à la direction de la rédaction du supplément Les Échos week-end par Jean-Francis Pécresse. Ce dernier avait quitté l’été dernier la direction de la station Radio Classique.