Clouzot, Truffaut, Chabrol, Boisset, Hossein, Verneuil, Blier, Guédiguian, Fontaine… Les plus grands cinéastes, dans plus de cent films, ont gravé sur la pellicule la singulière présence du grand homme de théâtre.
Les compositions les plus difficiles ne le rebutaient jamais. Immense sur les tréteaux, Michel Bouquet aura marqué de son génie le septième art. Il a incarné avec une juste économie de gestes et à pas comptés des personnages qui par leur rectitude pouvaient paraître presque effrayants: un implacable Inspecteur Javert dans Les Misérables de Robert Hossein, un avocat corrompu par la pègre dans Borsalino de Jacques Deray, un homme trompé qui devient l’assassin de Maurice Ronet dans La Femme Infidèle de Claude Chabrol, un détective privé obstiné tué par Jean-Paul Belmondo dans La Sirène du Mississipi de François Truffaut, un flic vengeur dans Un condé d’Yves Boisset…
S’il n’hésitait pas à reconnaître qu’il préférait la scène au cinéma, Michel Bouquet aura quand même tourné dans plus d’une centaine de films, remportant deux César pour Comment j’ai tué mon père (2002) et Le promeneur du Champ-de-Mars (2006).
Michel Bouquet débuta au cinéma avec méfiance, jusqu’à ce que Jean Grémillon lui offre un rôle écrit par Jean Anouilh dans Pattes Blanches en 1948. Il y interpréta Maurice, un jeune marginal qui se sert de son amante, Suzy Delair, pour se venger de son demi-frère. Avec sa maigre silhouette, son regard noir et son jeu torturé, il creva l’écran. Dans Mémoire d’acteur, il se dit «ébloui» par Jean Grémillon sans qui il n’aurait jamais poursuivi l’aventure du cinéma. Michel Bouquet n’a jamais oublié: «Il avait une connaissance phénoménale de l’histoire, (…) osait des synthèses saisissantes avec une puissance d’évocation digne de Shakespeare (…). J’avais vingt ans. J’étais quasi analphabète. Fréquenter Jean Grémillon a été un déclic décisif. Je me suis dit : »il faut maintenant que tu te cultives (..) que tu essaies d’être moins sot, de comprendre le monde toi aussi ! »»
Avec Claude Chabrol qu’il considérait comme «son révélateur», Michel Bouquet tourne six films. Dans La femme infidèle, écrit spécialement pour lui, il joue le bourgeois assassin et devient l’archétype du héros chabrolien. «D’une certaine façon, il jouait à ma place, me manipulait. Mais admirablement. Voilà un grand directeur d’acteur! Rien qu’avec sa caméra, il apportait de l’intensité à mon interprétation», confiait-il au sujet du réalisateur devenu son ami.