Lundi, après d’impossibles discussions avec les dirigeants internationaux, Vladimir Poutine a finalement annoncé la reconnaissance de deux territoires russophones à l’est de l’Ukraine. Une décision à laquelle les occidentaux répondent comme prévu par des sanctions. Une opération perdant-perdant sauf pour Washington.
[…] je pense qu’il est nécessaire de prendre la décision attendue depuis longtemps de reconnaître immédiatement l’indépendance et la souveraineté de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk
a déclaré Vladimir Poutine.
Je demande à l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie de soutenir cette décision puis de ratifier les traités d’amitié et d’assistance mutuelle avec les deux Républiques.
Après plusieurs semaines de propagande, de mensonges médiatique et d’affrontements réels sur les territoires de l’Est ukrainien, les discussions entre les différents acteurs semblaient quasi impossibles.
D’un côté les volontés russes de voir l’OTAN cessé sa progression à l’Est, de l’autre des États-Unis bien trop présent sur l’affaire ukrainienne.
Le journaliste Frédéric Pons, auteur d’un ouvrage sur Poutine, explique que le président russe défend les intérêts de la Russie sur le long terme:
Vladimir Poutine voit les intérêts de la Russie non pas immédiats mais sur le long terme. Les analystes russes et Vladimir Poutine ont compris que l’Ukraine rejoindrait l’OTAN. Et l’Ukraine dans l’OTAN se traduit par l’utilisation d’armes américaines, ça veut dire une pression qui serait devenue insoutenable à terme.
« Cette analyse avait déjà été réalisée en 2014 en s’emparant de la Crimée, parce que les russes estimaient que le processus qui était enclencher alors, allait conduire inexorablement à l’arrivée de l’OTAN et des Américains en Ukraine, et donc la perte de la Crimée et du Port de Sébastopol qui pour eux est stratégique.
« La Russie a donc refait la même chose ces jours-ci. Poutine estime qu’en neutralisant et en reconnaissant deux Républiques russophones séparatistes, il neutralise le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN parce que – dans ses articles – l’OTAN ne peut pas intégrer un pays en conflit territorial avec un voisin ou des conflits territoriaux de souveraineté intérieurs. Vladimir Poutine prend un gage. Ca lui évite d’envahir militairement l’Ukraine. Et il neutralise à moindre frais l’opération du processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. »
Un blocage créé grâce au droit international qui ne sera toutefois pas sans conséquences. En revanche tout porte à croire que le dirigeant russe à la tête du pays depuis 20 ans possède une logique différente de ses homologues occidentaux, plus éphémères que lui:
Poutine, au pouvoir depuis 2000, a su s’entourer d’équipes fidèles en poste depuis de nombreuses années, et dotées à la fois d’une longue mémoire et d’une perspective stratégique dans leur analyse des situations.
Cette durée aux affaires permet à Vladimir Poutine et ses conseillers d’anticiper et d’asseoir son pouvoir pour plusieurs années encore, sachant que les processus électoraux dans les démocraties occidentales sont réglées de telle manière que les dirigeants actuels ne seront probablement plus là dans 25 ans. Les Russes jouent sur cette durée et cette solidité aux affaires, donc.
Un ancrage dans le temps propre à la vision russe qui ne note rien au problème présent. En effet la décision de Vladimir Poutine – bien qu’entendue parce que provoquée par les États-Unis et l’OTAN depuis un certain temps – va s’accompagner de sanctions voire de « caprices », c’est selon. Une habitude. En 2014 avec le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne avait déjà pris des sanctions à l’égard de la Russie. De nombreux produits alimentaires avaient notamment été bloqués. La Russie s’était donc vu dans un premier temps privé d’importations mais aussi dans une situation opportune pour favoriser son autosuffisance. C’est ainsi que quelques mois plus tard, l’agriculture russe avait connu un important rebond et le porc français, lui, plongeait dans sa fange.
A l’heure de ce nouveau conflit le point crucial est cette fois énergétique. Toutes les opérations de propagande et de déstabilisation semblent avoir un but bien précis en passe d’être atteint, c’est ce qu’explique le Géopolitologue Alexandre del Valle:
La diabolisation de la Russie permet de déclencher des sanctions sur les bases du droit international et celui européen, et des lois extraterritoriales américaines. Déjà Nord Stream 2, qui allait doubler l’alimentation de l’Europe par le gaz russe, via le gazoduc, va être interdite. Et probablement Nord Stream 1 bientôt. Biden a demandé à ce qu’on augmente la proportion de gaz Azéri et Qatari.
« Quand ce gaz sera mis à disposition (gaz spot*, NdlR), en complément du gaz de schiste américain qui va augmenter, le but des Américains est l’éviction du gaz russe en Europe, ce qui permettra un renforcement de la domination américaine. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour les Européens. Un renforcement de la dépendance européenne non seulement envers le gaz de schiste américain, mais aussi envers le gaz musulman – puisque l’Azerbaïdjan et le Qatar que Biden a motivé pour renforcer les exportations de gaz vers l’Europe – va augmenter notre dépendance vis-à-vis du monde musulman.
Un calcul qui n’apporte donc rien de bon, mais qui semble bien faire les choux gras de Washington. Dans ce conflit, Emmanuel Macron aura donc beaucoup gesticulé sans aucun résultat favorable. Celui qui préside le « petit » Conseil de l’Union européenne espérait avoir une occasion de briller pour faire montre de ses talents de diplomate. C’est loupé. Un fiasco objectif puisque chacune des grandes annonces de l’Élysée sur le dossier a été suivi d’un démenti russe.
Oui, la France a abandonné son rôle de puissance de paix non aligné en acceptant grossièrement une mise sous tutelle américaine aussi bien géopolitique que culturelle. Le mauvais goût ne semble plus arrêter le président sortant. Depuis mardi, selon certains médias français, cette situation aurait poussé Macron a retarder l’annonce de sa candidature pour un nouveau mandat à la présidence de la République. Preuve que le chef de l’État faisait de cette crise une occasion rêvée d’exister. Une occasion à nouveau manquée.
*Il s’agit du prix moyen sur une journée du gaz naturel sur le marché spot