En franchissant les portes du Jeu de Paume, un souffle d’éternité emporte. Il s’agit de « Travelling », l’exposition dédiée à la cinéaste et artiste belge Chantal Akerman, dont l’œuvre continue de marquer les esprits. Ici, le cinéma est un espace de réflexion où le temps, les émotions et les silences se transforment en matière vivante.
Le film « Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles », son chef-d’œuvre, accueille le public comme un monument fragile. Ce long-métrage, considéré aujourd’hui comme le meilleur de tous les temps par le British Film Institute, ne se contente pas de raconter : il capte. Chaque geste de cette femme, dans sa cuisine, devient une révolution silencieuse. Mais l’exposition « Travelling » va plus loin. Elle plonge le public dans un voyage géographique et intime, où chaque installation, chaque film, chaque document inédit raconte une quête, celle d’une artiste qui a fait de la solitude et du quotidien des terrains d’exploration universels.
Chantal Akerman n’a jamais craint d’exposer les fissures. Qu’il s’agisse de l’exil, du deuil, des non-dits familiaux ou des injustices sociales, elle capte les marges, elle filme les cicatrices. Dans cette exposition, ses films dialoguent avec ses archives personnelles – scénarios, notes manuscrites, photographies de tournage – nous offrant une nouvelle façon de lire son œuvre. Ce n’est plus seulement une cinéaste que l’on redécouvre, mais une artiste totale, habitée par les frontières, physiques et mentales.
Difficile de ne pas se sentir bousculé par cette rétrospective, où chaque espace nous invite à repenser notre rapport au temps et à l’image. Chantal Akerman, à travers ses installations, capte l’essence de ces « moments suspendus » : une route qui semble infinie, un désert qui respire l’absence, ou encore un simple geste domestique qui devient poétique. Elle ne filme pas, elle sculpte l’espace-temps.
« Travelling » est aussi une expérience de la présence et de l’absence, un jeu d’équilibre entre le vide et le trop-plein, entre l’intime et l’universel. Son cinéma minimaliste, souvent qualifié d’austère, trouve ici une dimension plus palpable, presque charnelle. Chaque film, chaque image, chaque texte devient une confession. Dans cet espace, les frontières entre le cinéma, l’art contemporain et l’écriture disparaissent.
C’est peut-être cela, la force de Chantal Akerman : nous rappeler que l’art ne se regarde pas seulement, il se vit. Et cette exposition nous invite à vivre, le temps d’un instant, au rythme de ses obsessions, de ses silences et de ses voyages.
Une exposition-dialogue avec une artiste qui, malgré sa disparition en 2015, continue de résonner avec une acuité désarmante dans notre monde contemporain.
Chantal Akerman : Travelling, jusqu’au 19 janvier 2025 au Jeu de Paume, Paris (Ier). Plus d’informations ici