Il n’existe pas de fragrance plus connue au monde, ni de flacon plus identifiable : le N°5 est toujours dans l’air du temps 100 ans après sa création.
“Une femme qui ne se parfume pas n’a pas d’avenir” : on le sait peu, mais Gabrielle Chanel était une véritable adepte des senteurs. En 1920, au moment de créer ce qui sera son premier parfum, la créatrice fait appel à Ernest Beaux, parfumeur à Grasse, et lui commande “un parfum de femme à odeur de femme”. Le parfumeur concocte 24 formules, sous la houlette de Gabrielle Chanel qui passe de nombreux jours à ses côtés, pour lui suggérer tel ou tel ingrédient, telle ou telle combinaison… L’anecdote qui suit est entrée dans les annales : au moment de sentir les essais, Chanel jette son dévolu sur le 5e, et conservera simplement son nom de code.
La formule, mélange inédit de molécules de synthèse (aldéhydes) radicalement opposé aux soliflores, grands succès de l’époque, se démarque de tout ce qui existe. Elle ne le sait pas encore, mais Gabrielle Chanel vient d’inaugurer l’ère de la parfumerie moderne avec le premier parfum “artificiel”, à la sensation abstraite, composé de quatre-vingts ingrédients naturels et synthétiques, parmi lesquels le néroli, l’ylang-ylang, la rose, le santal ou le jasmin… Comme en couture, la créatrice pousse le sens du détail et de l’excellence au maximum, et exige les matières premières les plus précieuses. “Quel est l’ingrédient le plus cher ? aurait-elle demandé à Ernest Beaux. Ajoutez-en plus !”
Pour ce qui est du flacon, Chanel se place aux antipodes des écrins baroques du début du XXe siècle, et mise tout sur le minimalisme. Pour N°5, pas de fioritures, mais un flacon dépouillé et géométrique, à la sobriété quasi pharmaceutique, dans un verre fin comme du papier. Ce n’est que trois ans plus tard que sa silhouette sera modulée pour ressembler à celle que l’on connaît aujourd’hui, très peu modifiée depuis. Les arêtes sont biseautées en 1924 (ce qui minimise le risque de casse), et le bouchon prend une forme octogonale taille émeraude.
Finalement le N°5 réunit tout, dès le départ : composition révolutionnaire, excellence des matières premières et simplicité du flacon, et devient directement l’allégorie olfactive de la mode épurée, pratique et compréhensible de Chanel. Un parti pris différent jusque dans sa distribution, puisque le N°5 est le premier parfum de luxe à être lancé en grande série. Vaporisée d’abord dans les boutiques parisiennes, puis à Deauville, Biarritz et Cannes, la senteur capiteuse connaît rapidement un grand succès auprès des clientes. Chanel s’associe alors à Pierre et Paul Wertheimer à la tête de Bourjois, qui propulsent le parfum dans le monde entier. Depuis, l’engouement pour le N°5 ne s’est jamais essoufflé : aujourd’hui, un flacon se vend toutes les 5 secondes dans le monde.