On l’appelle la Firme… à cause de son caractère sulfureux. Le célèbre cabinet de conseil américain McKinsey, qui jouit d’une réputation à l’échelle mondiale, a envoyé deux de ses responsables devant la Commission d’enquête au Sénat. Une audition inaudible qui n’a pas vraiment éclairci les zones d’ombres.
« J’invite McKinsey a la transparence ! » Les propos du sénateur Arnaud Bazin, le Président de la Commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil, n’auront pas vraiment été entendu. Deux directeurs associés du cabinet américain, chargés par le gouvernement de la logistique de la campagne de vaccination, ont été dépêchés pour l’occasion. Une séance qui aura duré moins de 2 heures, pour du vent.
Sans surprise, le directeur associé de McKinsey France, Victor Fabius, était absent. Il faut dire que l’image du fiston du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, à l’origine des validations de tous les textes liberticides depuis deux ans, aurait fait tache d’encre. Un conflit d’intérêt pas tant qualifié pudiquement « d’interférence faible » par Libération, dont le journal est la propriété de Patrick Drahi, soutien indéfectible d’Emmanuel Macron. Pourtant, dans la crise sanitaire que nous passons, le cabinet étasunien a été chargé par le gouvernement français de superviser la logistique de la campagne de vaccination. Une prestation chiffrée à deux millions d’euros par mois selon les révélations de Mediapart.
Pour cerner cette entreprise pas comme les autres, fondée en 1920, les anecdotes ne manquent pas. Le siège est situé à Wilmington (Caroline du Nord) dans l’État du Delaware, un vrai paradis fiscal. D’ailleurs avec un chiffre d’affaire annuel de près de 8 milliards et demi de dollars, selon le magazine Forbes, il eut été dommage de payer trop d’impôts. Parce qu’il ne faut pas se mentir, la Firme n’est visiblement pas animée par la philanthropie, même si elle accepte souvent de mettre les mains dans le cambouis. Ainsi, on relève notamment des affaires complexes, en lien avec la filière de l’énergie en Afrique du Sud où le cabinet a dû finalement payer 100 millions de dollars au gouvernement. En Australie, les conflits d’intérêts ne posent pas non plus de problème. McKinsey a effet signé un contrat pour conseiller le gouvernement sur la stratégie vaccinale, alors même qu’il fournissait aussi des conseils sur le développement des vaccins à ARN messager. Ils ont même trouvé comment les écouler, dites donc !
Sur la question vaccinale l’entreprise s’y connaît
De l’aveu d’un porte-parole de la Firme, le cabinet a travaillé sur plusieurs centaines de projets de vaccin ces dernières années et ce pour des prestataires divers, des gouvernements aux entreprises pharmaceutiques et sur des domaines aussi divers allant de la logistique à la stratégie en passant par des aspects commerciaux. Au sujet de la santé, il a également joué un rôle très remarqué aux États-Unis : mis au service de plusieurs sociétés pharmaceutiques, dont Purdue Pharma, McKinsey a notamment prodigué des conseils pour augmenter les ventes d’opioïdes au moment précis où les mesures de santé publique visaient à endiguer la crise des opiacés. Une crise qui aura tout de même provoquer quelques 500 000 victimes dans le pays. L’entreprise s’est vu verser 574 millions de dollars aux autorités américaines pour sortir des poursuites de cette affaire qui entachait trop son aura.
Contrairement à ce que l’on pense, le cabinet américain n’a pas fait son entrée en politique française avec l’arrivée du covid-19. Nicolas Sarkozy, surnommé jadis l’Américain, appréciait notamment les services de McKinsey. Néanmoins, on soulignera qu’Emmanuel Macron traînait déjà dans les arcanes politiques en 2007, quand la Commission Attali s’est organisée. Et l’ancien banquier Rothschild n’a pas attendu l’Élysée pour s’entourer de McKinsey. Le quotidien Le Monde avait d’ailleurs révélé qu’une dizaine de membres de la campagne présidentielle de Macron en 2017 étaient tous des employés de McKinsey. Depuis, on souffle ici et là que le cabinet aurait eu un bon retour sur investissement. En 2019, il planchait sur une possible réforme des retraites avec une prestation auprès de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) à hauteur de 920 000 euros.
L’audition de mardi au Sénat a permis de savoir que 496 800 euros ont également été perçus par McKinsey pour une mission visiblement difficile à justifier par les intéressés :
[…] vous avez dit tout à l’heure que votre valeur ajoutée, c’est de réaliser des expertises sur des enjeux complexes. Hors vous avez obtenu un contrat d’un montant de 496 800 euros pour, je cite : évaluer les évolutions du métier d’enseignants. Pouvez-vous nous dire à quoi a abouti cette mission ?
interroge Eliane Assassi, Rapporteure.
Nous avons été sollicité dans le cadre du contrat cadre de la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) par le ministère de l’Education et par la DITP. Notre rôle a été d’accompagner la DITP pour organiser un séminaire qui était prévu par le ministère en lien avec l’ensemble des organisations internationales, pour réfléchir sur les grandes tendances d’évolution de marché… des évolutions du secteur de l’enseignement, quelles étaient aussi les évolutions attendues du marché de l’enseignant et à ce titre quelles pouvaient être les réflexions autour du métier d’enseignent […]
Nous travaillons maintenant depuis une vingtaine d’années sur l’analyse d’évolutions des systèmes d’éducation, répond Karim Tadjeddine, Directeur associé senior de McKinsey France.
a répondu Karim Tadjeddine, Directeur associé senior de McKinsey France.
Un séminaire et « une réflexion sur les réflexions » des métiers de l’enseignement pour la modique somme de 500 000 euros. Une bien belle roue de la fortune expliquée nerveusement par Karim Tadjeddine visiblement nul en communication. A croire que McKinsey a envoyé volontairement des sous-fifres au Sénat. Un mépris qui corrobore d’ailleurs l’attitude en amont de la Firme à l’égard de la chambre haute :
[…] Nous avons reçu hier soir messieurs votre réponse écrite aux demandes de la commission d’enquête et nous vous en remercions. Je constate cependant qu’elle est incomplète sur au moins deux points : d’une part votre contribution sur l’activité de McKinsey depuis 3 ans, alors que la commission d’enquête vous demandait des informations sur 10 ans. D’autre part, elle ne comprend pas les prestations réalisés pour les entreprises publiques.
a souligné Arnaud Bazin.
En résumé merci d’avoir répondu à côté de la plaque en éludant les dossiers qui vous dérangent. Des pratiques à l’image du cabinet américain responsable d’une partie de l’organisation de la santé publique des Français qui ont décidément raison de se méfier.