Steluta Duta vivait dans la rue, désespérée au point d’envisager le suicide, avant de découvrir la boxe: aujourd’hui triple championne d’Europe, cette Roumaine monte toujours sur le ring avec la rage de combattre l’exclusion dont sont victimes des milliers d’enfants mal aimés.

La Roumaine Steluta Duta, triple championne d’Europe de boxe, lors de son camp d’entraînement à Sărata-Monteoru, le 14 janvier 2020 I AFP/Archives / Daniel MIHAILESCU
La boxe a été l’occasion de sortir de la misère et de la pauvreté, confie Steluta Duta, cheveux coupés courts et silhouette d’adolescente malgré ses 38 ans. En 2002, après avoir été mise à la porte du foyer où elle vivait, la jeune fille entrait timidement dans la salle de boxe de Buzau, une ville de l’est de la Roumanie, à une centaine de kilomètres de Bucarest. Si elle n’était pas venue ce jour-là, où d’ailleurs je l’ai prise pour un garçon (…), elle aurait grossi les rangs de ceux qui dorment dans la rue et se droguent en sniffant de la colle, estime l’entraîneur Constantin Voicilas, 69 ans, qui allait devenir son papa. Dix-huit ans et des dizaines de médailles plus tard, le sourire de Steluta s’efface dès qu’elle enfile les gants: ses sourcils se froncent et les coups pleuvent. L’acharnement de celle qui n’avait connu que gifles et coups de pieds durant son enfance et son adolescence n’a pas faibli. Abandonnée à la naissance à l’instar de deux de ses huit frères et soeurs, Steluta est une enfant dont l’Etat n’a pas voulu, résume M. Voicilas. Mais, grâce à une ambition hors du commun, les trophées s’empilent aujourd’hui dans l’appartement qu’elle loue à Buzau: championne nationale et vainqueure de la coupe de Roumanie sans discontinuer depuis 2003, trois fois championne d’Europe et autant de fois vice-championne du monde de la catégorie des moins de 48 kilos.
Parfois j’ai du mal à y croire. Mais je suis contente, je me sens accomplie, dit-elle.
Rien ne prédestinait cette petite étoile (steluta en roumain) à la gloire: dans ce pays parmi les plus pauvres de l’Union européenne, plus d’un enfant sur trois est exposé au risque d’indigence et d’exclusion sociale, selon Eurostat. Taux élevé d’abandon scolaire, accès difficile au système de santé, maltraitances physiques et morales infligées sous couvert de discipline, la situation des enfants roumains, notamment ceux vivant en milieu rural, demeure critique, observe un rapport de l’organisation Save the children publié fin 2019.
Steluta n’est pas la seule sportive que j’aie sortie de ce milieu, dit son entraîneur. Les jeunes filles comme elle trouvent ici un refuge.
Cet entraîneur sexagénaire au visage avenant barré d’une moustache s’est fait une spécialité d’accompagner ces adolescentes défavorisées sur le ring. Parmi les 480 médailles remportées par les élèves de son club, en une vingtaine d’années, les deux-tiers l’ont été par des filles. Bianca Lacatusu, 17 ans, a perdu ses deux parents quand elle était bébé. Elle a été élevée par une famille d’accueil puis placée dans un foyer avant que M. Voicilas ne vienne lui proposer de s’essayer à la boxe.
J’aime me battre, dit cette jeune fille au regard perçant, qui rêve de vaincre un jour Steluta, sa partenaire d’entraînement, en qui elle voit une inspiration.
Les enfants issus de familles démunies sont habitués aux difficultés, ils ne jettent pas l’éponge devant le premier obstacle et se donnent de la peine pour réussir, estime Adrian Lacatus, sélectionneur de l’équipe nationale de boxe. Parmi les jeunes filles que ce coach entraîne actuellement, plusieurs vont écrire l’histoire, assure-t-il, à l’image d’Alexandra Gheorghe, vice-championne d’Europe juniors à 17 ans.