L’Assurance maladie a trouvé une nouvelle arme dans son combat contre la fraude : un algorithme qui attribue des scores de suspicion aux bénéficiaires de la Complémentaire Santé Solidaire gratuite (C2SG). Si la modernité a parfois bon dos, ici elle sert surtout de paravent à des pratiques discriminatoires et inquiétantes. Une mécanique bien huilée où les mères précaires, déjà en première ligne des inégalités sociales, deviennent des cibles privilégiées.
Avec un taux de fraude estimé à 1 % pour la C2SG, soit à peine 25 millions d’euros, on pourrait s’attendre à ce que l’Assurance maladie relativise l’ampleur du problème. Mais non. À grand renfort de discours alarmistes, elle justifie un arsenal technologique intrusif, qui repose sur des critères discutables : sexe, âge, composition familiale. Le « profil type » du fraudeur, selon un rapport interne, serait une femme de plus de 25 ans, mère d’enfants mineurs. Une analyse biaisée qui confond profil statistique et condamnation arbitraire.
Ce qui choque ici, ce n’est pas seulement l’inefficacité relative de cette chasse aux fraudeurs, mais la violence symbolique qu’elle impose aux plus vulnérables. Ces contrôles abusifs, souvent injustifiés, entraînent des conséquences bien réelles : suspension d’aides, retards dans les soins, et surtout une culpabilisation systématique des bénéficiaires. Comme si être pauvre constituait un crime.
En s’acharnant sur cette minorité de fraudeurs, l’Assurance maladie détourne l’attention du problème de non-recours aux droits. Près de 30 % des personnes éligibles à la C2SG ne la demandent pas, par crainte de démarches trop complexes ou par peur des contrôles. Ce chiffre est une honte nationale, une trahison du principe même de solidarité sur lequel repose notre système de santé.
Et pourtant, c’est là que le bât blesse. Au lieu de chercher à simplifier l’accès aux aides, la CNAM s’acharne à décourager celles et ceux qui en ont le plus besoin. Une stratégie qui s’apparente moins à une lutte contre la fraude qu’à une gestion comptable des inégalités.
Le problème ne s’arrête pas aux chiffres. L’utilisation d’algorithmes pose des questions éthiques majeures. Ces outils, loin d’être neutres, reproduisent et amplifient les biais existants. Aujourd’hui, ils ciblent les mères précaires. Demain, ils pourraient croiser des données encore plus sensibles, comme l’état de santé ou le handicap. Une dérive autoritaire qui dépasse les bornes de la légalité actuelle, mais que certains rêvent déjà de rendre acceptable.