Le travail virtuel de l’Américain Beeple, encore inconnu du grand public, s’est envolé pour une somme jamais atteinte. « Nous assistons au commencement d’un nouveau chapitre dans l’histoire de l’art », a commenté l’artiste qui devient le troisième artiste vivant le plus cher du monde.
Il n’avait vendu aucune œuvre il y a six mois. Mais la semaine dernière, l’une des créations entièrement virtuelles de l’artiste américain Beeple a battu un nouveau record : après deux semaines d’enchères en ligne organisées chez Christie’s, son Everyday : the First 5.000 days, a été adjugée pour le montant record de 69,3 millions de dollars. C’était la première fois que la maison d’enchères proposait une pièce 100 % virtuelle, du « crypto-art » comme il est parfois désigné. La vente a été suivie par 22 millions de personnes et propulse le travail de Beeple au troisième rang des créations d’artistes vivants les plus chers au monde, juste derrière Portrait of an artist de David Hockney et Rabbit de Jeff Koons.
« Des artistes utilisent du stockage de données et des logiciels pour créer de l’art et le diffuser sur internet depuis plus de vingt ans, mais il n’y avait pas (jusqu’ici) de véritable moyen pour le posséder et le collectionner », a commenté Beeple, dans un communiqué publié par Christie’s après la vente. « Avec le NFT, tout ça a changé, a constaté l’artiste. Nous assistons au commencement d’un nouveau chapitre dans l’histoire de l’art, de l’art numérique ». Selon lui, l’art totalement dématérialisé renferme « autant de savoir-faire, de nuances et d’intentions que tout ce qui peut être fait sur un canevas physique ». Et d’ajouter : « Je suis plus qu’honoré et touché de représenter la communauté des arts numériques en cet instant historique. » Cette vente illustre la soudaine montée en puissance d’une nouvelle technologie d’authentification, utilisant la « blockchain », technique utilisée pour les cryptomonnaies, présentée comme un remède miracle aux copies, un des freins au développement de l’art numérique. Celle-ci permet de commercialiser des œuvres – et à peu près tout ce qui est imaginable sur internet, des albums musicaux aux tweets de personnalités – sous la forme de « non-fungible token », ou NFT (« jeton non fongible »). Cette appellation obscure, née en 2017, recouvre tout objet virtuel à l’identité, l’authenticité et la traçabilité en théorie incontestable et inviolable.
À 39 ans, Beeple – Mike Winkelmann de son vrai nom – garde cependant les pieds sur terre, même s’il avoue que tout cela lui donne un peu « le tournis ». Père de famille de Caroline du Sud connu pour ses projets numériques et ses collaborations, il n’avait encore jamais vendu d’œuvre avant octobre dernier. Fin février, Crossroads, était partie pour 6,6 millions de dollars (dont Beeple a touché 10 %) sur la plateforme Nifty Gateway, spécialisée dans les œuvres virtuelles. Et une animation qu’il avait lui-même vendue fin octobre, pour un dollar symbolique, a récemment été acquise pour 150.000 dollars.