FAITS DIVERS I 2 février 2017 – L’interpellation violente de Théo dans la cité des 3.000 choquait Aulnay-sous-Bois. Un an après, les forces de l’ordre restent l’ennemi dans ce quartier miné par les trafics.
Théo lors d’une manifestation, le 28 octobre 2017 à Bobigny I GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Une voiture de police remonte la rue Edgar-Degas. Pu ! pu ! pu ! crient les guetteurs pour avertir les dealers. Il y un an, c’était policiers violeurs que l’on entendait à chaque passage de gyrophares : Théodore Luhaka, jeune Noir de 22 ans, venait d’être gravement blessé à l’anus par la matraque d’un policier, lors d’un contrôle ayant dégénéré à quelques mètres de là. Quatre policiers ont été mis en examen, dont un pour viol, dans cette affaire qui continue de diviser : une nouvelle vidéo de l’interpellation, diffusée sur Europe1, a aiguisé les tensions et l’annonce de la réintégration de trois des agents mis en cause a provoqué la colère de la famille de Théo.
Comment voulez-vous qu’on respecte l’uniforme ? s’est émue sa soeur Éléonore lors d’un rassemblement pour dénoncer cette réintégration.
Théo, qui a dû subir plusieurs interventions chirurgicales et porte toujours une poche médicale, en a été très affecté, dit-elle :
Il fait bonne figure mais il n’est pas bien, ni moralement, ni physiquement.
Le rassemblement n’a toutefois réuni qu’une poignée de proches, là où des centaines de personnes avaient marché un an plus tôt pour dire leur soutien au jeune homme et leur ras-le-bol des cow-boys. A Bobigny, un autre rassemblement avait violemment dégénéré quelques jours plus tard, malgré l’appel au calme lancé par Théo depuis son lit d’hôpital, où il venait de recevoir la visite de l’ancien président. Faut-il y voir le signe d’un retour à la normale aux 3.000 ?
Un vieil habitant assure que les gens oublient. Une bavure, deux bavures, un excès de zèle de la police, c’est la routine. Pour une autre, le seul souvenir de cette affaire, c’est un hashtag ‘Théo’ tagué dans un hall.
« C’est Harlem ! »
Certains jeunes restent pourtant marqués. A l’arrêt de bus, Ines, Keesha et Fatou estiment que l’affaire a accentué les tensions avec les forces de l’ordre. Bien sûr, tous les policiers ne sont pas malpolis, dit d’emblée une des ados, lunettes sages et appareil dentaire.
Mais quand ils arrêtent les grands dans le quartier, ils font leurs coups de Flashball alors qu’il y a des enfants partout. Ils font courir tout le monde, même les mamans. C’était du racisme et de l’injustice, clame aussi Ness, élève au collège du quartier. Même si lui et ses amis Adam et Carl ne parlent plus trop de l’affaire, les flics c’est des ennemis maintenant.
Désireux d’enrayer la dégradation des relations avec la police et d’améliorer la vie dans les quartiers, les proches de Théo ont élaboré une série de propositions, qui vont des relations avec les forces de l’ordre à l’accompagnement des jeunes entrepreneurs. Ces Accords d’Aulnay doivent bientôt être présentés aux institutions et habitants. Mais dans le quartier, au-delà de l’affaire, c’est surtout l’ambiance tendue et le deal omniprésent qui occupent les esprits. Arrivée de Guyane il y a six mois, Nadège Auguste se dit choquée par l’agressivité qui y règne.
Pour cette mère de famille, il faut des structures pour les jeunes. Ils ne font rien, n’ont pas de travail, alors la drogue, c’est l’argent facile.
Les 3.000, c’est Harlem, c’est la merde, lance aussi Soufiane Beldi. Ici tout se trafique, la drogue, les cigarettes et même le (jus de fruit) Capri sun.
Sur le plan judiciaire, des expertises sont en cours dans le cadre de l’instruction ouverte à Bobigny. L’enjeu : déterminer si la matraque a été utilisée dans les règles et évaluer la gravité des séquelles de Théo. Si le jeune homme se voit reconnaître une infirmité permanente, l’affaire pourrait passer aux assises, même si la qualification de viol n’était pas retenue faute d’éléments prouvant l’intentionnalité du geste. Mais Daniel Merchat, avocat d’un des policiers mis en cause, a déjà prévenu qu’il demanderait une contre-expertise médicale. Pour lui, l’affaire va prendre la forme d’une longue querelle d’experts. Le tout sous l’oeil attentif des 3.000. Pour les ados de l’arrêt de bus, seule une vraie justice permettra d’apaiser le quartier…