Près de deux ans et demi après la mort du journaliste saoudien, le dossier refait surface à la faveur d’un rapport de la CIA. Quotidien Libre fait le point sur une affaire qui pourrait bouleverser les relations entre le monde et le royaume wahhabite.
Nouveau rebondissement dans l’affaire Khashoggi ! Deux ans et demi après l’assassinat sauvage du journaliste à l’ambassade saoudienne d’Istanbul, l’affaire ressort des oubliettes. En cause, un rapport de la direction des services de renseignement des États-Unis accusant Mohammed Ben Salmane d’avoir validé son meurtre. Selon le document, le prince héritier – surnommé MBS – avait validé une opération visant à capturer ou tuer Jamal Khashoggi. Une information qui pourrait faire l’effet d’une bombe alors que jusqu’à présent l’Oncle Sam avait toujours ménagé son allié wahhabite dans cette affaire. En effet, Trump avait toujours joué de prudence quant à la possible responsabilité du prince héritier qui a toujours nié toute implication dans cet assassinat.
Pour rappel, après avoir nié l’assassinat, Riyad a fini par dire qu’il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi sans commanditaires. A l’issue d’un procès opaque en Arabie Saoudite, cinq saoudiens ont été condamnés à mort et trois autres à des peines de prison ferme. Les peines capitales ont été commuées depuis, et le corps démembré du journaliste, lui, n’a jamais été retrouvé. Ainsi le rapport de la CIA marque un net changement de cap de la part des Etats-Unis alors même que l’administration Biden a affirmé sa volonté de vouloir rééquilibrer les relations avec l’Arabie Saoudite. Une volonté d’engager aussi une rupture avec la précédente mandature de Trump, selon Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense :
« Je crois d’abord qu’il y a une dimension intérieure américaine, c’est-à-dire que Biden veut montrer et marquer la rupture face à Trump. Personnellement, j’avais décidé justement de ne pas divulguer ce rapport qui était effectivement très inquiétant pour le système Saoudien
(…) Evidemment cette affaire rappelle un épisode que nous avons tous en tête, après le 11 septembre 2001, le président Bush avait décidé de classifier « secret défense » 28 pages du rapport du Congrès qui, nommément, désigne le rôle de l’ambassade Saoudienne à Washington dans l’organisation des attentats.
« (…) Dans cette affaire, la seconde dimension évoque une cible directe en la personne de Mohammed ben Salmane, le prince héritier. Il ne vous a pas échappé que Biden a décidé de s’adresser au roi, au père donc, plutôt qu’à MBF son fils. En gros, Biden souhaite faire comprendre au roi – comme si on disait au père d’un élève qu’il se tient mal à l’école – : reprenez-le en main. » Une rupture et un rééquilibrage, certes, mais tout en douceur. Si les États-Unis ont appelé le royaume Wahhabite à démanteler l’unité d’élite saoudienne proche du prince héritier, Washington n’a toutefois pas annoncé de sanction contre l’héritier du trône d’Arabie Saoudite. Sur CNN l’attaché de presse de la Maison Blanche a expliqué qu’il existait des moyens plus efficaces pour éviter que ce type d’événement ne se répète. Une déclaration qui fera sans doute rire Vladimir Poutine.
Quoi qu’il en soit, le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a appelé Riyad à aller plus loin au sujet des droits humains, ce qui ne devrait pas être bien difficile. Autre preuve de la « sainte » clémence américaine à l’égard du royaume Wahhabite, quelques heures après sa publication, le rapport des services de renseignement a été remplacé par une nouvelle version dans laquelle trois noms classés dans la catégorie « complice » ont été retirés. Parmi ces noms figurent Abdulla Mohammed Alhoeriny qui serait le chef adjoint de la sécurité de l’État dans la lutte contre le terrorisme. L’homme est aussi le frère du ministre chargé de la présidence de la sécurité de l’État. Un changement que la direction des services de renseignement des États-Unis n’a pas justifié. Si l’administration Biden entend rectifier le tir, elle semble tout de même loin de vouloir entamer un conflit ouvert avec le futur roi. D’ailleurs, aucune des deux parties n’y trouverait son compte. Si Washington est liée à l’Arabie Saoudite par un partenariat stratégique, à l’inverse MBS n’a aucun intérêt à vouloir perdre le soutien des États-Unis, afin de conserver sa légitimité avant d’accéder au trône. De quoi constituer la première leçon diplomatique pour la présidence Biden. Vous avez dit diplomatie ?