Le 16 janvier 2023, la justice turque a définitivement hissé Pinar Selek au rang de terroriste. La militante stambouliote fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international alors que rien ne l’accuse. La ville de Marseille soutient son combat pour la vérité.

Féministe, anti-militariste, sociologue, et militante… Pinar Selek, que nous avons rencontré ce vendredi 10 mars au sein de l’Hôtel de ville de Marseille, n’a rien de la dangereuse criminelle que les autorités turques voudraient nous présenter. Le crime est ailleurs. Celui de l’avoir emprisonnée et torturée en 1998 alors qu’elle réalisait des travaux de recherche sur les mobilisations contestataires kurdes en Turquie. Au-delà de son arrestation et d’interrogatoires à répétitions, la police stambouliotes voulait que la jeune femme livre des noms. Mais devant son refus, les autorités ont fini par l’accuser d’avoir fomenté un « acte terroriste » : l’explosion d’une « bombe » au sein du Marché aux épices d’Istanbul, deux jours plus tôt.
Ankara aura fabriqué de toutes pièces des éléments voulus pour démontrer, contre toute évidence, la survenance d’un attentat, alors que tout établit aujourd’hui que l’explosion dudit Marché aux épices a été provoqué accidentellement par une bonbonne de gaz.
Acquittée en 2014, le dossier de Pinar Selek fut renvoyé devant la Cour suprême du pays, qui prononça sa condamnation huit ans plus tard, en juin 2022. Une décision qui ne lui fut officiellement communiquée que le 6 janvier dernier. La relance de son procès – dont l’ouverture est prévue au 31 mars prochain – provoque des interrogations, mais aussi de nombreux soutiens :
Je ferai tout ce qu’il sera possible pour être au côté de Pinar (Selek) le 31 mars
assure Michèle Rubirola, Première adjointe au maire de Marseille.
Tout ce que représente Pinar Selek, tout ce qu’elle défend, sont des valeurs que nous défendons à Marseille avec l’ensemble de l’équipe municipale. Dans les prochaines semaines, nous allons préparer un plan pour que les Marseillaises et les Marseillais soient mis au courant de l’engagement de la ville dans ce procès.
La ville de Marseille apporte tout son soutien à @Pinar_Selek.
— Benoît Payan (@BenoitPayan) March 10, 2023
En danger d’emprisonnement à vie, grande militante pour la justice, les droits sociaux et les droits des femmes : il est de notre devoir de nous tenir à ses côtés. pic.twitter.com/3Fez3BLSUM
Le Tribunal criminel d’Istanbul a signé un mandat d’arrêt international contre la militante. Une procédure effarante – le gouvernement turque nous y a habitué – qui va à l’encontre même du principe de présomption d’innocence. Les prochaines élections présidentielles en Turquie sont propices à toutes les diversions politiques et à toutes les manipulations. La Turquie n’en est pas avare. Le président Erdogan et sa horde de « Loups gris » – parti ultranationaliste turc, aujourd’hui allié de la politique de l’actuel président – en sont pleinement conscients.
Vingt-cinq ans de harcèlement et toujours cette envie de vaincre, cette force à vouloir démontrer son innocence. A l’approche du procès, Pinar Selek se dit confiante :
J’essaie de ne pas trop y réfléchir. J’agis !
précise-t-elle.
Je fais ce qui est nécessaire [pour ma défense, NdlR], mais ce n’est pas facile. Vous savez, on dit « tout ce qui ne me tue pas me rend fort ». Ce n’est pas vrai. Cette histoire m’a beaucoup blessé et a engendré une certaine fragilité. Mais je possède beaucoup de ressources. Alors je continue le combat.
Si la campagne présidentielle s’ouvre officiellement ce vendredi 10 mars en Turquie, le président Erdogan, en lice pour un nouveau mandat, semble fragilisé. Si ce n’est pas un atout pour Pinar Selek, la militante explique que « ce procès reflète à la fois la continuité du régime autoritaire en Turquie, puisqu’il a commencé avant le gouvernement actuel, mais aussi les configurations des dispositifs répressifs mis en place en amont des élections présidentielles de juin 2023 ».
Je ne sais pas si ce procès durera longtemps. En tout cas, je m’y prépare.
En 2013, Ankara avait rédigé une demande d’extradition auprès de l’État français et réclamait qu’Interpol place Pinar Selek sur une liste rouge. Deux demandes refusées, face à l’évidence d’une manipulation juridique. Ce 31 mars 2023, une délégation européenne sera présente pour le procès, afin de la représenter. À suivre.